04 février 2025

≡ À Mathilde Urrutia


Ma dame très aimée, 

Grande fut ma souffrance à t’écrire ces sonnets mal nommés, 


Qui m’ont coûté grand-peine et grand-douleur, 

Mais la joie de te les offrir est plus ample qu’une prairie. 



À me les proposer, je savais bien qu’à côté de chacun, 

Par gout, par choix, par élégance, 


Les poètes de toujours ont placé des rimes sonnantes, 

Argenterie, cristal ou canonnade. 



Avec grande humilité, moi j’ai fait ces sonnets de bois, 

En leur donnant le son de cette substance opaque et pure, 


Et qu’ils atteignent ainsi tes oreilles. 



Toi et moi cheminant par bois et sablières, 

Lacs perdus, latitudes de cendres, 


Nous avons recueilli des fragments de bois pur, 

Madriers sujets du va-et-vient de l’eau et de l’intempérie. 



De ces vestiges à l’extrême adoucis 

j’ai construit par la hache, le couteau, le canif, 

Ces charpentes d’amour 


Et bâti de petites maisons de quatorze planches 

Pour qu’en elles vivent tes yeux que j’adore et que je chante. 



Voilà donc mes raisons d’amour et cette centaine est à toi : 


Sonnets de bois qui ne sont là que de cette vie qu’ils te doivent.  



— Octobre 1959 



— Introduction à « La Centaine d’Amour »

— Cent « sonnets de bois » écrits  

— À son grand amour, sa dernière femme Matilde Urrutia.




— Pablo Neruda