Voltaire assis à sa table de travail — Bibliothèque nationale de France
Le mystère entourant la fin du philosophe des Lumières trouve sa résolution, plus de deux siècles après sa disparition.
Voltaire, de son vrai nom François-Marie Arouet, a entretenu jusqu’à sa mort un rapport difficile avec son propre corps. Longtemps, l’on a considéré que sa mort en 1778 relevait d’un simple affaiblissement dû à l’âge. Cependant, une étude récente, fondée sur l’analyse paléo-protéomique de son cœur embaumé, a permis d’en révéler la cause exacte. Ainsi, enfin, en 2025, le mystère entourant la fin de l’auteur de L’Ingénu trouve sa résolution, plus de deux siècles après sa disparition.
Dernières années
Les dernières années de Voltaire furent marquées par une santé fragile, régulièrement contrariée par des inflammations, des coliques et, surtout, par de douloureux troubles urinaires. L’écrivain, lucide et moqueur, tenait souvent le registre de ses souffrances dans sa correspondance, témoignant d’un combat quotidien contre les maux qui l’accablaient. Convaincu de pouvoir se soigner lui-même, il s’imposait une discipline singulière et la consommation quasi rituelle de limonade, censée dissoudre ses calculs urinaires. Il pensait que cette boisson combattait le mal qui le rongeait. Cependant, cette médecine artisanale n’eut pas l’effet escompté.
Ainsi, le 30 mai 1778, Voltaire s’éteint à l’âge de 83 ans dans la maison de son ami, le marquis de Villette, rue de Beaune à Paris. Son décès survint après plusieurs semaines de douleurs abdominales intenses, que ses médecins ne surent soulager. Conformément à ses volontés, une autopsie fut pratiquée, révélant une tumeur prenant naissance dans la vessie. Ce rapport d’autopsie, longtemps oublié, attestait déjà l’existence d’un cancer, sans que la médecine du XVIIIe siècle puisse en préciser ni la nature ni l’origine.
L’histoire d’un cœur
Après le décès, le corps de Voltaire fut rapidement enterré, mais son cœur, lui, fut extrait et embaumé. Il fut ensuite placé dans un coffret de métal doré et rempli d’un alcool spécial, afin de préserver l’organe du philosophe.
Le précieux reliquaire fut conservé par le marquis de Villette jusqu’à sa mort en 1793. Il revint ensuite à son fils, Voltaire Villette, qui le garda comme un trésor familial. À la mort de ce dernier sans héritier, en 1864, la question du devenir du cœur se posa. Le notaire chargé de la succession, se souvenant que le corps du philosophe avait été transféré au Panthéon en 1791, proposa que son cœur devienne la propriété de la France.
L’empereur Napoléon III accepta et le coffret fut solennellement déposé à la Bibliothèque impériale, future Bibliothèque nationale de France. En 1924, lors d’une inspection, le reliquaire fut ouvert. On constata alors que le liquide de conservation s’était évaporé, et l’organe paraissait entièrement desséché.
La quête de la vérité historique et scientifique
Ces dernières années, le Laboratoire Anthropologie, Archéologie et Biologie (LAAB) de l’université Paris-Saclay, en collaboration avec le CEA de Marcoule, le service d’urologie de l’hôpital Foch et les Archives nationales, a entrepris une étude exceptionnelle : analyser les protéines encore présentes à la surface du cœur embaumé de Voltaire.
Les chercheurs ont identifié plusieurs protéines apportant une preuve formelle à l’autopsie autrefois pratiquée : Voltaire est bien mort d’un cancer épidermoïde de la vessie. En effet, en l’absence de toute trace de tabagisme ou d’infection parasitaire, les scientifiques estiment que l’origine de cette maladie se trouve dans les lithiases vésicales chroniques dont Voltaire souffrait depuis des années. Ces calculs, en irritant continuellement la paroi de la vessie, auraient ainsi provoqué des inflammations répétées ouvrant la voie à l’apparition d’une tumeur.
Le rapport d’autopsie de 1778, redécouvert dans le cadre de cette étude dirigée par le Dr Philippe Charlier, confirme ce diagnostic moderne. Les chercheurs ont également identifié, grâce à l’analyse chimique, les composants utilisés par l’embaumement de l’organe : eau-de-vie de prune, eucalyptus, poudre de corail et blanc d’œuf, des substances typiques des pratiques apothicaires du XVIIIe siècle.
La raison, que Voltaire chérissait par-dessus tout, a finalement triomphé de l’incertitude. Grâce à la science, le doute s’est ainsi dissipé : c’est bien un cancer épidermoïde de la vessie qui a eu raison du philosophe des Lumières. Plus de deux siècles après sa mort, la recherche redonne chair à l’histoire et nous renseigne sur les derniers instants de celui qui fit de la raison et de la plume ses armes les plus précieuses. Le cœur de Voltaire, longtemps endormi dans le silence d’un coffret, a aujourd’hui livré le dernier chapitre de son existence.
— Lundi 6 octobre 2025
— Source documentaire : Boulevard Voltaire
■— Eric de Mascureau —