À l’intérieur du restaurant phare Kura Sushi Harajuku. (Tokyo, le 21 septembre 2022.) Getty Images
« Silence Obligatoire » Au Japon, Des Commerces S’adaptent Aux Personnes Qui Ne Tolèrent Plus Aucune Interaction.
Dans une société nippone de plus en plus individualiste, les enseignes proposent désormais des services sans la quelconque interaction.
Le Japon est connu pour ses animés, ses mangas et son high-tech. Mais aussi pour être le pays où la solitude est reine. En effet, là-bas, de plus en plus de personnes vivraient seules. Forts de ce constat, certains commerces ont commencé à proposer des services où l’interaction sociale est réduite, voire totalement absente. Ce modèle innovant de « commerces silencieux » permet à chacun, qu’il vive seul ou non, de bénéficier de services sans l’obligation d’échanger avec le personnel.
À Tokyo, les salons de coiffure ont été parmi les premiers à intégrer ce nouveau type de service. Le salon Hair Works Credo propose notamment à ses clients de choisir le niveau de conversation souhaité, et ce, dès la prise de rendez-vous. Ils peuvent opter pour une conversation normale, un échange minimal ou bien pour un service sans aucun échange verbal. Cette dernière option est plébiscitée dans six cas sur dix, en majorité donc.
« En 2014, aucun autre salon de coiffure au Japon n’offrait cette option unique », se souvient Takahiro Noguchi, propriétaire du salon, au Japan Times. « Au début, je pensais m’adresser exclusivement aux introvertis, mais au fil des ans, j’ai appris que certaines personnes ont simplement envie de passer une journée qui leur est réservée. (…)
Ils sont sur leur smartphone, travaillent sur leur ordinateur portable, portent des écouteurs, lisent un livre, se regardent dans le miroir ou écoutent simplement le doux bruit des ciseaux. »
Dans un sondage réalisé en avril par la Hot Pepper Beauty Academy au Japon, 52,9 % des 2.000 personnes interrogées (des clientes et clients de salon âgés de 20 à 49 ans) ont déclaré qu’elles préféraient rester assises en silence plutôt que de bavarder pendant leurs rendez-vous.
Beaucoup d’entre elles (43,5 %) affirment ne pas être friandes des conversations de comptoir parce qu’elles ne sont pas douées pour cela et qu’elles se sentent forcées.
Café Sans Paroles
La tendance n’a en tout cas pas échappé à certaines enseignes de prêt-à-porter. Au Japon, la marque de vêtements Urban Research permet ainsi à ses clients de signaler leur préférence à l’aide de sacs de shopping spécifiques. Ceux qui choisissent un sac transparent bleu indiquent qu’ils préfèrent ne pas être sollicités par les vendeurs, tandis que ceux qui optent pour un sac sans couleur peuvent recevoir des conseils. Cette initiative a trouvé un écho auprès des consommateurs : environ 10 % d’entre eux utilisent désormais le sac bleu pour éviter le stress que pourrait générer une interaction avec le personnel.
Du côté des restaurants, même chose. Chez Kura Sushi, une grande chaîne japonaise de sushis, la commande se fait intégralement via un smartphone en scannant un QR code, et les sushis sont livrés directement à la table sur un tapis roulant. Le client peut ainsi dîner sans avoir besoin d’échanger avec le personnel.
Le concept a été poussé encore plus loin dans certains cafés, où le silence est littéralement imposé. À Osaka, un café a mis en place une règle stricte de non-parole. Dès l’entrée, les clients reçoivent un carton leur demandant de ne pas parler. Si une communication est absolument nécessaire, elle se fait via des plaquettes avec des pictogrammes.
« Les appareils peuvent également afficher le contenu en anglais, éliminant ainsi les problèmes de communication », fait savoir Akihiro Tsuji, porte-parole de Kura Sushi, toujours au Japan Times. Autant de nouvelles règles qui sont particulièrement appréciées dans un pays où la pression sociale est forte et où l’individualisme prend une place grandissante.
— Publié le 12 novembre 2024
■ Ségolène Forgar —