06 janvier 2025

≡ Chaque Matin, Un Nouveau Monde Est Possible

 Evoquons Les Matins, Le Début D'un Nouveau Jour, D'un Nouveau Monde, Une Petite Résurrection Après La Nuit…


Les enfants peinent à s’endormir, car dormir, c’est, pour une nuit au moins, mourir.


Le sommeil introduit dans le fil ténu de leur conscience une discontinuité : qui leur assure que ce ne sera pas une rupture définitive ?



Le doudou. Sa mission est d’aller chercher l’enfant si les songes qui naissent sous ses paupières l’entraînent trop loin. Il est chargé des bonnes ondes des adultes, chargé de la promesse qu’ils font à l’enfant : tout va bien se passer, la nuit passe, et toi tu restes.


Les Matins Comme Premières Fois


Si toute nuit est une mort, alors chaque matin est une résurrection. Au réveil, nos yeux s’ouvrent sur un commen­cement de monde. Cela ne dure qu’un instant. Mais cet instant, ainsi que Proust le restitue dans les premières lignes de la Recherche, peut s’étirer.


Il suffit que nous nous réveillions dans une pièce où nous ne nous rappelons pas nous être endormis : « Mon corps, trop engourdi pour remuer, cherchait, d’après la forme de sa fatigue, à repérer la position de ses membres pour en induire la direction du mur, la place des meubles, pour reconstruire et pour nommer la demeure où il se trouvait.


Sa mémoire, la mémoire de ses côtes, de ses genoux, de ses épaules, lui présentait successivement plusieurs des chambres où il avait dormi, tandis qu’autour de lui les murs invisibles, changeant de place selon la forme de la pièce imaginée, tourbillonnaient dans les ténèbres. »


Ensuite, l’on renoue le fil de sa vie. La candeur première, la nativité de tout, s’estompe. On remet les choses à l’endroit. Les enjeux du jour nous pressent, ceux de la veille nous pèsent. Au saut du lit, les jeux déjà sont faits. On sait, avant de le poser par terre, si c’est le droit ou le gauche qui, le premier, touchera terre.


Il y a, dans l’œil qu’on ouvre sur sa vie, non pas un énième jour, additionné à tous les autres, mais une nouvelle première fois. Je suis certain que, si, demain matin, nous nous réveillions enfant, nous repartirions gaiement de ce point-là. 


Nous nous dirigerions, d’un seul (petit) homme, en pyjama vers la tartine de miel et le chocolat chaud. Nous délaisserions, comme un mauvais rêve qui vient d’on ne sait où, les soucis et les regrets de cette vie d’adulte.


Oui, Dès Le Réveil


Chaque matin, un nouveau monde est possible. Une proche, aumônière en prison, raconte l’histoire d’un détenu qui, à cause du mal qu’il a commis, ne pense qu’à mettre fin à ses jours. 


Voilà quelqu’un dont aucun matin n’a l’innocence enfantine évoquée. Un homme qui porte avec lui les jours qui précèdent. Un homme privé d’aurore. L’aumônière lui conseille, dès la première pensée, de prononcer ce mot : oui.


Oui À Quoi ?


À tout ! À la haine qu’il éprouve de lui-même ; à la sollicitude discrète, taiseuse, virile, de ses compagnons de ­cellule ; aux formes que fait naître une cigarette dans l’embrasure de la fenêtre. Oui, à chaque seconde. Et, ainsi, tenir bon en offrant la chair coupable que nous sommes à la miséricorde du Père.


C’est évidemment impossible. Le non l’emportera. Les jours qui suivent son crime, au-delà desquels il ne peut remonter, terniront chaque instant.


Aussi faut-il que ce oui soit la toute première ­pensée, celle qu’on niche dans l’instant de notre réveil, où tout est encore possible ; où un enfant, en notre lieu et place, pourrait se lever et emporter sa joie dans la maison avant de rejoindre sa tartine de miel.


Envelopper le jour qui vient d’un premier consentement ; oser, avant que la journée ne commence, le « Fiat ! » des origines…




■— Martin Steffens —