06 février 2025

〓 En Parlant de la Douceur


Le Moine Du Désert Évagre Le Pontique (346-399/400 Apr. J.-C.) Voit Dans La Douceur Le Signe D’une Véritable Spiritualité.



Elle est aussi celle d’une vieillesse réussie.


Qui, en prenant de l’âge, fait montre de douceur envers son prochain et les choses qui l’entourent attire autrui.


En allemand, Sanftmut, la « douceur », signifie littéralement le courage de rassembler ce qui est en moi sans rien exclure de ce qui constitue ma vie.


J’accepte les différents domaines de mon âme, les différents fragments de ma personnalité et les rassemble en un tout, n’écartant rien de mon parcours. Tout ce que j’ai vécu fait partie de ma personne et fait de moi l’individu que je suis.


La parabole du dîner illustre à mes yeux le mystère de la douceur. Les invités s’étant excusés, le maître de maison demanda à son serviteur de faire venir les pauvres et les estropiés, les aveugles et les boiteux. Et, voyant qu’il y avait encore de la place, il lui en enjoignit : « Va-t’en par les chemins et le long des clôtures, et fais entrer les gens de force, afin que ma maison se remplisse » (Luc 14, 23). »


Chacun de nous est convié au dîner de Jésus, afin d’y devenir lui-même. Nous devons nous rendre à la célébration munis de tout ce qui nous habite : y compris ce qui est pauvre et faible, ce qui ne s’est pas épanoui comme nous l’aurions souhaité, ce qui nous semble estropié. Nous devons convier à notre table l’aveugle et le boiteux tapis au fond de nous.


Les meurtrissures que nous n’osons regarder, nos complexes et nos inhibitions, nos angoisses et notre pusillanimité – Autant de composantes qui doivent, au repas festif du Christ, s’unir en un tout.


Puis, nous devons nous en aller par les chemins poussiéreux de notre existence et convier tous ceux que nous y rencontrons. Ce que nous avons exclu de notre vie et laissé le long des chemins, ce qui nous paraissait indigne d’être emporté nous appartient au même titre que le reste.


Le vieil homme recompose de mémoire son existence entière avant de l’apporter à la table de Jésus, afin que tous les traits constitutifs de sa personne cessent le combat, et s’unissent à Dieu et dans le Christ.


Celui qui a atteint ce degré de douceur a rassemblé en soi les trésors de sa vie. La richesse et la vastitude de son existence l’emplissent de mansuétude envers son prochain. Des faiblesses de ce dernier, il dira, sans les condamner : « Elles font partie de lui. »


Si la parabole du dîner relatée par Jésus illustre la façon dont l’homme parvient à devenir lui-même, on peut également y voir une métaphore de l’Eucharistie. Chaque jour, la célébration de celle-ci nous exhorte à recueillir les fragments épars de notre être et à nous laisser pénétrer par le corps du Christ.


Tout ce qui nous habite aspire à être accepté, à être empli de l’Esprit du Christ et métamorphosé par lui.


Les faiblesses, les souffrances et les disgrâces de la vieillesse aspirent, elles aussi à être rassemblées, car elles font partie intégrante du trésor de la vie.


Celui qui trouve le courage de réunir les fragments de son être et de les présenter à Dieu s’emplit de douceur et insuffle à autrui le courage d’admettre et de rassembler à son tour les richesses qu’il porte en lui.


De même que les gens âgés pétris de mansuétude attirent les autres, désireux de converser avec eux, les vieillards acerbes et impitoyables qui maugréent contre tous et jugent sévèrement autrui repoussent leur prochain.


Évagre le Pontique nous renvoie à Moïse, dont les écritures disent qu’il est de tous les hommes le plus débonnaire. Et il renvoie à Jésus, qui dit de lui-même : « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur » (Matthieu 11, 29).


Le doux ne juge pas. Il accepte l’autre tel qu’il est – car lui-même a accepté et rassemblé en lui tout ce qu’il a vécu.



— Extrait de « L’art de bien vieillir » 




■— Anselm Grün —