13 mars 2025

≡ Attitude Devant La Mort


Parce Qu’ils Conçoivent La Notion De « Continuum De Conscience », Les Bouddhistes Envisagent La Mort Comme Un Passage, Tandis Qu’ici, En Occident, Le Décès Est Vécu Très Différemment.


S’il y a parfois des enterrements avec des moments inspirants au cours desquels la vie du défunt est célébrée, il faut avouer qu’en général c’est un événement plutôt sinistre. En Orient, en tout cas dans le monde bouddhiste, une crémation ressemble presque à une fête.


Un grand maître spirituel est invité à présider le rite.


Toute la famille, tous les amis viennent, et après le rituel fusent ces commentaires : 


« Ça s’est bien passé! Quelle belle cérémonie! » Ensuite, tout le monde participe à une sorte de pique-nique, de fête : tous expriment leur joie de voir qu’un grand lama a pu venir, que de nombreux moines et nonnes ont prié pour le défunt, que tous ont pu se rassembler et se retrouver. L’atmosphère est assez festive.


Je me souviens de la mort de Marilyn Silverstone, une amie américaine qui était nonne et grande photographe.  L’ambassadeur des États-Unis, venu assister à la crémation, s’est exclamé : « Incroyable, tout le monde a l’air content! » C’est en effet différent, fort différent de ce qui se passe en Occident, car nous concevons la mort comme un passage, difficile certes, mais que nous cherchons à préparer dans les meilleures conditions afin qu’il s’effectue au mieux.


En somme, le défunt est un peu comme un navigateur qui aurait réussi sa traversée de l’océan et qui serait accueilli par des acclamations : « Bravo! Maintenant qu’il est arrivé à bon port, nous pouvons dormir en paix… »


Réfléchir à la mort est une démarche saine, qui n’a rien de triste ou de morbide. 


C’est faire preuve de lucidité parce que masquer la réalité est inévitablement une source de frustration : quand notre mort approchera et que celle de personnes qui nous sont chères surviendra, nous serons choqués et totalement désemparés. 


Mais si nous comprenons que la mort est dans la nature des choses , si nous essayons de faire en sorte que ce passage s’opère le mieux possible, sans détresse, sans peur, et si nous entourons ceux qui s’en vont avec le plus d’affection, d’amour, de tendresse, de présence et de disponibilité possible, nous pourrons et saurons aborder la mort avec sérénité au lieu d’être anéantis. 


J’ai entendu Sogyal Rinpoché, un maître tibétain, dire : « Ne vous inquiétez pas. La mort, c’est très facile : vous expirez, puis vous n’inspirez plus à nouveau. » Extirper la mort du champ de notre conscience ne nous permettra pas de l’appréhender sous un angle meilleur. 


Un texte tibétain décrit ainsi notre attitude : « Au début, on envisage la mort comme si nous étions un animal pris au piège. » Ce qui signifie que la pensée de la mort est insupportable, source de profonde angoisse et que nous nous débattons avec elle.


Ensuite, si nous entreprenons une démarche de transformation intérieure, l’attitude face à la mort ressemble à celle d’un paysan qui a labouré son champ, l’a semé, et qui, ayant fait tout le nécessaire, se trouve sans regret. Que la grêle frappe son champ, que des animaux dévorent une partie de sa récolte, il n’a rien à se reprocher.


Enfin, pour un pratiquant expérimenté, la mort est comme une amie, c’est-à-dire qu’elle nous est devenue très familière – elle est inévitable, elle est un passage, une belle mort est le couronnement d’une belle vie – et nous n’entretenons plus à son égard de sentiment de panique, de répulsion, d’injustice.


Nous cessons de penser que le monde devrait être autrement parce que la révolte contre la réalité ne mène qu’à davantage de tourments. Nous devons comprendre la mort et lui permettre de donner un sens à chaque instant de notre vie qui passe. 



— Extrait d’une Interview sur Radio-Canada (2010)




Matthieu Ricard —