Selon les récits, l’accident aurait été provoqué par une pure imprudence. — British Library via Wikimedia Commons.
⛵️Le naufrage du « White Ship », la catastrophe qui a fait basculer l’Angleterre en emportant l’héritier du trône
❉ Le chavirement du navire en 1120 tua des centaines de nobles anglo-normands et brisa la ligne de succession, entraînant luttes de pouvoir, rébellions armées et l’accession inédite d’une femme au rang d’héritière.
• C’était en apparence une traversée de la Manche routinière pour les passagers du White Ship –une foule bruyante et alcoolisée de jeunes nobles parmi lesquels se trouvait Guillaume Adelin, héritier légitime du roi Henri Ier d’Angleterre. Alors que le navire prend le large, le 25 novembre 1120, un bruit strident vient briser l’ambiance joyeuse et festive : l’équipage percute un rocher de plein fouet.
• En quelques instants, 300 personnes se retrouvent plongées dans l’eau glacée. Presque toutes y laisseront la vie. « Un scénario cauchemardesque », résume Hugh Thomas, spécialiste de l’histoire de l’Angleterre médiévale à l’Université de Miami. Pour les nobles du White Ship, traverser la Manche faisait partie du quotidien du pouvoir : leurs terres s’étendaient de la Normandie à l’Angleterre depuis que Guillaume le Conquérant avait pris le trône anglais au XIe siècle. En 1120, son plus jeune fils, Henri, détient le pouvoir.
• Selon les récits, l’accident aurait été provoqué par une pure imprudence : « Même à une époque où les morts soudaines étaient courantes, perdre autant de personnes de haut rang dans un accident lié à l’alcool est dévastateur », précise l’historien. À ce moment-là, la boisson n’est pourtant pas retenue comme la première explication, comme le souligne le National Geographic.
❉ Un naufrage expliqué par la colère de Dieu
• Au XIIe siècle, l’interprétation divine domine. « C’était en quelque sorte un coup porté par Dieu à la dynastie anglo-normande », explique Nicholas Paul, spécialiste du Moyen Âge à l’Université Fordham de New York. Les corps, emportés par la mer, ne seront jamais retrouvés, empêchant les familles de prier pour le salut de leurs âmes. Pour les chrétiens du Moyen Âge, c’est un problème : « Pour être libéré de la grande douleur et des tribulations du purgatoire, il faut recevoir la prière d’intercession des vivants », explique le chercheur. Ce qui implique de connaître la date d’anniversaire de la mort et de disposer du corps. Dans le cas contraire, le risque plane pour les proches des victimes de se retrouver… en enfer. Mais ce n’est pas le seul problème. L’absence du corps de Guillaume Adelin déclenche une grave crise de succession en Angleterre.
❉ Une femme successeure au trône?
• Les prétendants se battent pour prendre sa place, entraînant tout le pays dans la violence. Henri Ier, alors âgé d’une cinquantaine d’années, se remarie peu après le naufrage du White Ship, espérant un nouveau fils. À défaut, il choisit sa fille Mathilde comme successeure. Un choix inédit violemment contesté dans une société profondément patriarcale.
• Son cousin, Étienne de Blois, saisit l’occasion. Épargné par le naufrage à cause d’une vilaine diarrhée qui l’a forcé à rester à terre, il traverse la Manche à la mort du roi, en 1135, et s’empare du trône avant même que Mathilde, enceinte, ne puisse revendiquer son droit. Le pays connait alors des années de troubles politiques et de guerre civile violente.
• « Il s’agit de nombreuses guerres locales, avec des raids, des incendies et des pillages, en somme une guerre médiévale », souligne Hugh Thomas. Les troubles ne prennent fin qu’en 1153, lorsque Étienne accepte de reconnaître le fils de Mathilde, Henri, comme héritier. Henri II succède alors à Étienne, l’année suivante.
• Les historiens voient aujourd’hui un effet miroir entre la traversée triomphale de la Manche par Guillaume le Conquérant et son pendant désastreux avec l’équipage du White Ship. « Tout ce royaume a été créé par un voyage réussi, et il a bien failli être complètement détruit par un autre voyage, malheureux », conclut Nicholas Paul.
— 13 novembre 2025
— Source documentaire : Slate France
■— Laura Perren —
