Il A Passé 40 Ans De Sa Vie À Ressusciter Des Arbres Dans Le Désert
Depuis 40 ans, l’agronome australien réussit à développer des forêts en Afrique sans planter aucun arbre mais en revisitant une technique ancestrale
C’est le combat d’une vie. À 67 ans, Tony Rinaudo a une obsession : transformer les terres dégradées en forêts.
Or trois milliards d’hectares, soit 75 % des terres, sont concernés au niveau mondial, principalement du fait de l’activité humaine. Car lorsque les forêts sont coupées, l’eau devient plus rare, les animaux en souffrent et les sols s’érodent. Un cercle vicieux, notamment en Afrique, où la vente du bois est souvent une question de survie pour les familles pauvres.
Quand l’agronome débarque au Niger en 1984, alors âgé d’une vingtaine d’années, avec sa femme et leur bébé, il découvre l’un des pays les plus pauvres de la planète, en bordure du Sahara, alors en pleine famine : des vents de plus de 70 km/heure, des températures au sol plus de 60 degrés « comme un four » et une terrible sécheresse, raconte-t-il, de passage à Paris.
Dans un premier temps, il s’efforce de planter des arbres de façon traditionnelle, ce qui s’est avéré un échec, compte tenu du climat sec et du manque d’intérêt des locaux. C’est alors qu’il découvre d’anciennes forêts dont les arbres sont encore vivants, sous forme de racines ou de souches ressemblant à de petits buissons. Il réalise qu’il suffit de les laisser repousser en luttant contre le dessouchage et le surpâturage, en coupant les pousses et les branches les plus basses pour voir pousser très rapidement un arbuste. Ce qui rend le sol plus fertile et propice à l’agroforesterie.
À défaut de souches, il y a généralement des graines d’arbres dans le sol qui ne demandent qu’à repousser. Cela nécessite d’éviter que les animaux ne mangent les arbustes et de protéger ceux-ci des risques de feux. Obstiné, Tony Rinaudo se met alors en tête d’expliquer aux villageois l’intérêt de protéger la végétation existante. Il promeut ce concept auprès de dix volontaires nigériens, qui le testent sur une petite parcelle de leur ferme.
Le résultat ne s’est pas fait attendre : des températures moins élevées, moins de vent et plus d’humidité. Les rendements des cultures ont doublé et les animaux d’élevage ont pu se nourrir des fruits et graines comestibles des arbres. Au Niger, ce cercle vertueux a été mis en place sur 6 millions d’hectares, pour 40 à 50 dollars par hectare, soit 36 fois moins cher que planter un arbre (400 à 8 000 dollars). Depuis vingt ans, pas moins de 200 millions de feuillus ont ainsi poussé au Niger, sans en planter un seul. Une véritable forêt verte est aujourd’hui bien visible depuis le ciel et la production alimentaire du pays a augmenté de 500 000 tonnes.
S’il n’est pas l’inventeur de cette méthode, appelée la régénération naturelle assistée (RNA), Tony Rinaudo en a été le plus grand promoteur. Après un deuxième projet au Ghana en 2016, elle fait des miracles dans 25 pays d’Afrique et d’Asie, grâce à son partenariat avec l’ONG World Vision (ex-Vision du monde) et plus de 1 million de personnes y ont été formées.
De quoi réduire la pauvreté liée à l’insécurité alimentaire. Avec plus de 1 milliard d’hectares perdus entre 1990 et 2000 et 47 % des terres hautement dégradées, l’Ouganda est frappé de plein fouet par le changement climatique. Or un de ses adeptes, Rashid, père de cinq enfants, assure : « J’ai doublé mes rendements et j’arrive même à faire des économies. »
L’impact sur le climat est aussi loin d’être négligeable : un hectare en régénération naturelle assistée stocke une tonne de CO2 par an, soit dix kilos de dioxyde de carbone par arbre. Ce qui représente une réduction de 16 à 25 % des gaz à effet de serre existants.
■ Prix Nobel alternatif
L’objectif de World Vision est aujourd’hui de régénérer 20 % des terres dégradées de quatre pays (Ouganda, Éthiopie, Kenya et Zambie), soit 13 millions d’hectares d’ici à 2030.
Preuve de l’intérêt que suscite cette méthode, une chaire universitaire a même été créée à Nairobi sur la RNA. Tony Rinaudo a reçu en 2018 le Right livelihood Award, dit prix Nobel alternatif et sa vie a fait l’objet d’un documentaire, L’Homme qui ressuscite les arbres, réalisé par le cinéaste allemand Volker Schlöndorff (connu pour son chef-d’œuvre Le Tambour).
À terme, l’Australien a pour ambition de restaurer 1 milliard d’hectares de terres dégradées dans une centaine de pays d’ici à 2030 et d’éliminer de l’atmosphère 6,3 milliards de tonnes de CO2 d’ici à 2050, tout en renforçant les communautés et les économies locales. Une belle retraite active en perspective pour ce passionné. C. M.
— Le Figaro - samedi 9 novembre 2024
• Caroline De Malet —