07 novembre 2024

Aie Pitié De Moi, Mon Âme

 


Pourquoi pleures-tu, mon Âme? 

Connais-tu ma faiblesse? 

Tes larmes me frappent fort et me font mal, 

Car j'ignore mes torts. 

Jusqu'à quand pleureras-tu? 

Je n'ai que des mots humains 

Pour interpréter tes rêves, 

Tes désirs et tes commandements. 


Regarde-moi, mon Âme; j'ai 

Consumé ma vie entière à respecter 

Tes enseignements. Vois combien 

Je souffre! J'ai épuisé ma 

Vie à te suivre. 


Mon cœur a glorifié le 

Trône, mais il est désormais tombé en esclavage; 

Ma patience était une compagne, mais 

Désormais elle lutte contre moi; 

Ma jeunesse était mon espoir, mais 

Désormais elle réprimande ma négligence. 

Pourquoi, mon Âme, exiges-tu tout? 

J'ai renoncé au plaisir 

Et j'ai délaissé la joie de vivre 


En suivant la voie que tu 

M'as incité à suivre. 

Sois juste avec moi, ou appelle la Mort 

Pour me désentraver, 

Car la justice est ta gloire. 


Aie pitié de moi, mon Âme. 

Tu m'as chargé d'un Amour si grand que 

Je ne puis plus porter ce fardeau. L'Amour et 

Toi êtes des puissances inséparables; la Matière 

Et Moi sommes des faiblesses inséparables. 

La lutte cessera-t-elle jamais 

Entre le fort et le faible? 


Aie pitié de moi, mon Âme. 

Tu m'as fait voir la Fortune hors d'accès 

De mon étreinte. Toi et la Fortune séjournez 

Au sommet de la montagne; la Misère et Moi sommes 

Tous deux abandonnés dans le creux de 

La vallée. La montagne et la vallée 

S'uniront-elles jamais? 


Aie pitié de moi, mon Âme. 

Tu m'as montré la Beauté, mais tu me l'as 

Ensuite dissimulée. La Beauté et Toi vivez 

Dans la lumière; l'Ignorance et Moi sommes 

Liés ensemble dans les ténèbres. La lumière 

Envahira-t-elle jamais les ténèbres? 


Tu aspires au Jugement dernier, 

Dont tu te réjouis avant l'heure; 

Mais ce corps souffre en cette vie 

Ici-bas. 

Telle est, mon Âme, la déconvenue. 


Tu te hâtes vers l'Éternité,

Mais ce corps va lentement vers 

La mort. Tu ne l'attends pas, 

Et il ne peut aller Vite. 

Telle est, mon Âme, la tristesse. 


Tu t'élèves, attirée par 

Les cieux, mais ce corps retombe à cause de 

La pesanteur de la terre. Tu ne le consoles 

Pas, et il ne t'apprécie pas. 

Telle est, mon Âme, la douleur. 


Tu es riche dans la sagesse, mais ce  

Corps est pauvre dans l'entendement.  

Tu ne transiges pas  

Et il n'obéit pas  

Telle est, mon Âme, l'extrême souffrance. 


Dans le silence de la nuit tu visites  

La Bien-aimée et tu aimes la douceur de  

Sa présence. Ce corps reste toujours  

La victime amère de l'espoir et de la séparation.  

Telle est, mon Âme, le supplice angoissant.  

Aie pitié de moi, mon Âme! 



Mille Et Une Nuit - Extrait De Rires Et Larmes




Khalil Gibran —