28 janvier 2025

≡ Sénèque… Du Choix Des Amis


〓 Tu As Chargé De Lettres Pour Moi, À Ce Que Tu M'écris, Un De Tes Amis.



Puis tu me préviens de ne pas même lui communiquer tout ce qui te touche, attendu que toi- n'es point dans l'habitude du faire. Ainsi, dans la même lettre, tu le reconnais pour ami et tu le désavoues. 


Ainsi, ce mot, par où tu débutes, était une formule banale : tu disais mon ami, comme on dit l'honorable homme de tout candidat possible, comme le passant, dont le nom ne nous revient pas, est apprécié par nous du titre de maître.


Versez cela, passez. Mais si tu tiens pour ami l'homme en qui tu n'as pas autant de foi qu'en toi-même, ton erreur est grave et tu connais peu le grand caractère de la véritable amitié. 


Délibère sur tout avec l'homme de ton choix, mais sur lui-même au moment de choisir. Ami, sois confiant ; avant d'être ami, sois juge. 


Or, ils prennent au rebours et intervertissent leurs devoirs ceux qui, contrairement aux préceptes de Théophraste, n'examinent qu'après s'être attachés et se détachent après l'examen. 


Réfléchis longtemps sur l'adoption d'un ami ; une fois décidée, ouvre toute ton âme pour le recevoir; parle aussi hardiment devant lui qu'à toi-même.


Vis en sorte que tu n'aies rien à t'avouer qui ne puisse l'être même à ton ennemi; mais, comme il survient de ces choses que l'usage est de tenir cachées, avec ton ami du moins que tous tes soucis, toutes tes pensées soient en commun.


Le juger discret sera l'obliger à l'être.


Certaines gens ont enseigné à les tromper en craignant qu'on ne les trompât, et donné par leurs soupçons le droit de les trahir.


Eh! pourquoi donc des réticences devant un ami?

Pourquoi près de lui ne me croirais-je pas seul?


Ce qui ne doit se confier qu'à l'amitié, certains hommes le conte à tout venant; toute oreille leur est bonne pour y décharger le secret qui les brûle; d'autres, en revanche redouteraient pour confidents jusqu'à ceux qu'ils chérissent le plus, et, s'il se pouvait, ne se fieraient pas à eux-mêmes : ils refouulent au plus profond de leur âme leurs moindres secrets.


Fuyons ces deux excès; car c'en est un de se livrer à tous, comme de ne se livrer à personne : seulement le premier me paraît plus honorable, le second plus sûr.


De même, il faut blâmer tout ensemble et une mobilité toujours inquiète et une continuelle inaction.


L'amour du tracas n'est point de l'activité, c'est une fièvre, un vagabondage d'esprit; comme le repos n'est point cet état qui juge tout mouvement un supplice : il ya là énervement et marasme.


Voici là-dessus ce que j'ai lu dans Pomponius, je le livre à tes réflexions : 

« Il y a des gens qui se sont tellement réfugiés dans les ténèbres que tout leur apparaît trouble au grand jour. »



Il faut entremêler les deux choses :

L'homme oisif doit aussi agir et l'homme agissant se reposer.


Consultez la nature, elle vous dira qu'elle a créé le jour et la nuit.




— Lettres à Lucilius — III —



 ■— Sénèque —