19 février 2025

≡ Élève Et Maître…


« Vous Savez, On M’a Dit Que J’étais L’élève D’un Certain Maître, Commença-T-Il. Croyez-Vous Que Je Le Sois? J’aimerais Bien Savoir Ce Que Vous En Pensez. Je Fais Partie D’une Société Dont Vous Avez Certainement Entendu Parler, Et Les Chefs Qui Représentent À L’extérieur Les Chefs Secrets Ou Maîtres M’ont Dit Que, Pour Les Services Que J’avais Rendus À La Société, On M’avait Admis En Qualité D’apprenti. Et On M’a Dit Que Je Pourrai Peut-Être Devenir Un Jour Un Initié Du Premier Degré. » 



Il Prenait Cela Très Au Sérieux, Et Nous En Parlâmes Longuement.



Une récompense est toujours agréable, surtout une récompense d'ordre soi-disant spirituel, pour celui qui ne recherche pas les honneurs de ce monde. 


Ou encore, pour celui qui réussit mal dans ce monde, il est agréable d'appartenir à un groupe et d'être choisi par quelqu'un que l'on tient pour un personnage d'une haute valeur spirituelle; il est agréable de travailler avec d'autres pour une noble cause, et il est juste que l'on soit récompensé pour les services rendus. 


Et s'il ne s'agit pas d'une récompense au sens étroit du mot, c'est la reconnaissance de son avancement dans l'ordre spirituel; où, s'il s'agit d'une organisation bien menée, on reconnaît que vous avez bien travaillé afin de vous inciter à faire mieux.


Dans un monde où la réussite tient lieu de valeur morale, ce genre de satisfactions personnelles est sous-entendu et encouragé. Mais s'entendre dire par quelqu'un qu'on est l'élève d'un maître, ou s'estimer tel, conduit évidemment aux formes les plus laides de l'exploitation. 



Malheureusement, Ces Relations Flattent À La Fois L’Exploiteur Et L’Exploité.



Ces satisfactions personnelles sont considérées comme un progrès sur la voie spirituelle, et cela devient particulièrement laid et brutal lorsqu'il y a des intermédiaires entre l'élève et le maître, lorsque le maître est dans un autre pays ou inaccessible d'une façon ou d'une autre, lorsqu'il n'y a pas de contact physique direct entre l'élève et le maître. 


Cette inaccessibilité et le manque de contact direct ouvrent la porte à toutes les déceptions et à toutes les illusions, merveilleuses, mais puériles; et ces illusions sont exploitées par les malins, par ceux qui sont avides de gloire et de puissance.



Les Récompenses Et Les Châtiments N’existent Que Lorsque il N’y A Pas D’humilité.  



L’humilité ne vient pas à la suite de pratiques spirituelles et de refus. L'humilité n'est pas une fin en soi, ce n'est pas une vertu à cultiver. 


Une vertu que l'on cultive cesse d'être une vertu, car elle n'est plus alors qu'une autre forme d'accomplissement, quelque chose dont on peut rendre compte. 


Cultiver Une Vertu N’est Pas Faire Abnégation De Soi, C’est Affirmer Négativement Son Moi.


L’humilité ne connaît pas la distinction entre le supérieur et l'inférieur, entre le maître et l'élève. 


Tant que subsiste la distinction entre le maître et l'élève, entre la réalité et vous-même, la compréhension n'est pas possible. Pour comprendre la vérité, il n'est pas besoin de maître ni d'élève, de second ni de premier degré. 


La vérité est la compréhension de ce qui est d'instant en instant sans le fardeau ou le résidu du moment précédent.



Récompenses Et Châtiments Ne Font Que Renforcer Le Moi, Qui Ignore L’humilité.



L’humilité est dans le présent, non dans le futur. Vous ne pouvez pas devenir humble. 


Devenir, ce n'est que projeter dans le futur l'importance du moi, qui se dissimule dans la pratique d'une vertu. 


Comme Il Est Fort, Notre Désir De Réussir, De Devenir! Comment La Réussite Et L’humilité Pourraient-Elles Aller De Pair? C’est Pourtant À Cela Que Tend L’Exploiteur « Spirituel » Comme L’Exploité, Et C’est Cela Qui Engendre Les Conflits Et Les Souffrances.


« Prétendez-vous que le maître n'existe pas et que le fait que je me considère comme son élève ne soit qu'une illusion? » demanda-t-il.


Que le maître existe ou non n'a aucune importance. 


C’est important pour l'Exploiteur, pour les sociétés et les écoles secrètes; mais, pour l'homme qui cherche la vérité, la vérité qui donne le bonheur suprême, cette question n'a absolument aucun sens. 


Le riche et le portefaix sont aussi importants que le maître et l'élève. 


— Que des maîtres existent ou non, que l'on distingue entre initiés, élèves, etc., n'a aucune importance; ce qui est important, c'est de se connaître soi-même. 


Sans la connaissance de soi, la pensée n'a aucune base. Si vous ne commencez pas par vous connaître vous-même, comment pouvez-vous savoir ce qui est vrai? 


Sans la connaissance de soi, l'illusion est inévitable. Il est puéril de recevoir un enseignement et d'accepter d'être ceci ou cela. 


Méfiez-Vous De L’homme Qui Vous Offre Une Récompense, Dans Ce Monde Ou Dans L’autre.




— Extrait De : « Commentaires-Sur-La-Vie »

1956 Tome 1 – Note 6




Jiddu Krishnamurti (1895-1986) –