L’humilité ne peut être une règle en soi, car elle ne se prête guère à ce qu’on la pratique volontairement. Elle est néanmoins un caractère indispensable de l’ahimsâ. Elle fait partie de la nature même de celui en qui est l’ahimsâ.
Un avant-projet des règles et des principes du Satyagraha Ashram fut distribué à quelques amis, parmi lesquels feu Sir Garudas Banerji. Il émit l’opinion que l’humilité devrait figurer parmi les règles de vie, mais, pour la même raison que je viens d’indiquer, il ne fut pas possible d’accepter sa suggestion.
Bien que l’humilité ne soit pas à proprement parler l’une de nos règles, elle est certainement aussi essentielle, sinon plus, que n’importe laquelle de ces règles. Mais personne ne l’a jamais acquise par la pratique.
On peut cultiver la Vérité, de même que l’Amour, mais cultiver l’humilité revient à cultiver l’hypocrisie.
Il ne faut pas ici confondre humilité avec étiquette ou bonnes manières.
Tel homme peut se prosterner devant tel autre en ayant le cœur plein d’amertume contre lui. Ce n’est pas de l’humilité, c’est de la ruse. Tel homme peut répéter le nom de Râma ou dire des chapelets toute la journée, et se comporter comme un sage parmi les hommes ; si, dans le fond de son cœur il est égoïste, il n’est pas humble, mais hypocrite.
L’humble n’a pas conscience de son humilité.
On peut essayer de mesurer la Vérité et d’autres choses semblables, mais non l’humilité. L’humilité innée ne peut jamais rester cachée, et pourtant son possesseur en ignore l’existence.
L’humilité devrait faire comprendre à celui qui la possède qu’il n’est rien. Dès qu’on s’imagine être quelque chose, il y a égoïsme. Si celui qui observe des règles en éprouve de la fierté, les règles perdront beaucoup de leur valeur, sinon toute. Et l’homme qui est fier de sa vertu devient souvent un fléau pour ses voisins. Ceux-ci n’apprécieront pas sa vertu, et lui-même n’en pourra retirer aucun profit.
Un peu de réflexion suffit à nous persuader que toutes les créatures ne sont rien de plus qu’un simple atome dans l’univers.
Notre existence comme êtres incarnés est tout à fait éphémère. Qu’est-ce que cent ans dans l’éternité ? Mais si nous mettons en miettes les chaînes de l’égoïsme et si nous nous fondons dans l’océan de l’humanité, nous aurons part à sa dignité. Sentir que nous sommes quelque chose, c’est élever une barrière entre Dieu et nous. Cesser de sentir que nous sommes quelque chose, c’est devenir un avec Dieu.
Une goutte d’eau dans l’océan a sa part de l’immensité de l’ensemble, bien qu’elle n’en ait pas conscience. Mais elle s’évapore dès qu’elle entre dans une vie indépendante de celle de l’océan. Nous n’exagérons pas lorsque nous disons que la vie sur la terre n’est qu’une Bulle.
Une vie consacrée à servir doit être une vie d’humilité.
Celui qui veut sacrifier sa vie pour autrui n’a guère le temps de s’assurer une place au soleil. Il ne faut pas confondre inertie et humilité comme on l’a fait dans l’hindouisme.
La véritable humilité exige que l’on consacre entièrement au service de l’humanité l’effort le plus ardu et le plus constant. Dieu est toujours en action, sans un seul instant de repos. Si nous voulons Le servir ou devenir un avec Lui, notre activité doit être aussi infatigable que la Sienne.
La goutte d’eau qui s’est séparée de l’océan peut trouver un repos momentané, mais celle qui est dans l’océan ne connait pas de repos. Il en est de même pour nous. Dès que nous devenons un avec l’océan, c’est-à-dire Dieu, il n’est plus pour nous de repos, et d’ailleurs, nous n’en avons plus besoin.
Notre sommeil même est encore de l’action, car nous dormons avec la pensée de Dieu dans notre cœur. C’est cette activité continuelle qui constitue le véritable repos. Cette agitation incessante contient le secret de la paix ineffable. Cet état suprême de total abandon est difficile à décrire, mais il n’est pas hors de l’atteinte de l’homme. Beaucoup d’âmes consacrées y sont parvenues, et nous pouvons l’atteindre aussi.
Tel est le but que nous nous sommes assigné au Satyagraha Ashram ; toutes nos règles, toute notre activité ont pour but de nous aider à y parvenir.
Si nous avons la Vérité en nous, nous y arriverons un jour à notre insu.
— Lettres à l’Ashram. Ch XII – Humilité.
—■ Gandhi –