18 avril 2025

≡ Aie Pitié De Moi, Mon Âme


Pourquoi pleures-tu, mon Âme? 

Connais-tu ma faiblesse? 


Tes larmes me frappent fort et me font mal, 

Car j'ignore mes torts. 


Jusqu'à quand pleureras-tu? 


Je n'ai que des mots humains 

Pour interpréter tes rêves, 

Tes désirs et tes commandements. 


Regarde-moi, mon Âme;

j'ai consumé ma vie entière à respecter tes enseignements.


Vois combien je souffre! 


J'ai épuisé ma vie à te suivre. 


Mon cœur a glorifié le trône,

Mais il est désormais tombé en esclavage; 


Ma patience était une compagne,

Mais désormais, elle lutte contre moi; 


Ma jeunesse était mon espoir, 

Mais désormais, elle réprimande ma négligence.


Pourquoi, mon Âme, exiges-tu tout? 


J'ai renoncé au plaisir

Et j'ai délaissé la joie de vivre

En suivant la voie que tu m’as incité à suivre. 


Sois juste avec moi,

Ou appelle la Mort pour me désentraver, 

Car la justice est ta gloire. 


Aie pitié de moi, mon Âme.


Tu m'as chargé d'un Amour si grand 


Que je ne puis plus porter ce fardeau !


L'Amour et toi êtes des puissances inséparables; 

La Matière et Moi sommes des faiblesses inséparables. 


La lutte cessera-t-elle jamais Entre le fort et le faible? 


Aie pitié de moi, mon Âme.


Tu m'as fait voir la Fortune hors d'accès de mon étreinte.


Toi et la Fortune, séjournez au sommet de la montagne;

La Misère et Moi sommes tous deux abandonnés

Dans le creux de La vallée.


La montagne et la vallée S'uniront-elles jamais? 


Aie pitié de moi, mon Âme. 


Tu m'as montré la Beauté, 

Mais tu me l'as Ensuite dissimulée. 


La Beauté et Toi vivez dans la lumière; 

L'ignorance et Moi sommes liés ensemble dans les ténèbres.


La lumière envahira-t-elle jamais les ténèbres? 


Tu aspires au Jugement dernier, 

Dont tu te réjouis avant l'heure; 

Mais ce corps souffre en cette vie Ici-bas.


Telle est, mon Âme, la déconvenue. 


Tu te hâtes vers l'Éternité,

Mais ce corps va lentement vers La mort. 

Tu ne l'attends pas, Et il ne peut aller Vite. 


Telle est, mon Âme, la tristesse. 


Tu t'élèves, attirée par Les cieux,

Mais ce corps retombe

À cause de La pesanteur de la terre. 


Tu ne le consoles Pas, et il ne t'apprécie pas. 


Telle est, mon Âme, la douleur. 


Tu es riche dans la sagesse, 

Mais ce Corps est pauvre dans l'entendement.  


Tu ne transiges pas et il n'obéit pas.


Telle est, mon Âme, l'extrême souffrance. 


Dans le silence de la nuit, 

Tu visites la Bien-aimée

Et tu aimes la douceur de Sa présence. 


Ce corps reste toujours

La victime amère de l'espoir et de la séparation.  


Telle est, mon Âme, le supplice angoissant.  


Aie pitié de moi, mon Âme! 



— Extrait De Rires Et Larmes

— Mille Et Une Nuits




Khalil Gibran —