08 mai 2025

≡ La Vérité



Idéalisme et réalisme, je vous aime, 
Comme l'eau et la pierre, vous êtes 
parties du monde, 
Lumière et racine de l'arbre de la vie. 

Non, ne me fermez pas les yeux.
lorsque j'aurai cessé de vivre,
j'en aurai besoin pour apprendre
Pour regarder et comprendre ma mort. 

Il me faut ma bouche
Pour chanter après qu'elle aura disparu.
Et mon âme, et mes mains, mon corps
Pour continuer à t'aimer, ma chérie. 

C'est impossible, je le sais, pourtant je l'ai voulu
J'aime ce qui n'a que des rêves.
J'ai un jardin tout de fleurs qui n'existent pas
Je suis résolument triangulaire.


Et je regrette encore mes oreilles,
mais je les ai enveloppées pour les laisser
dans un port, sur un fleuve à l'intérieur
De la République de Malaguette. 

Je suis las de porter la raison sur l'épaule
Je veux inventer la mer quotidienne

Un jour, j'ai reçu la visite
d'un peintre de talent qui peignait des soldats
Tous étaient des héros et le brave homme,
les peignait en plein feu sur le champ de bataille,
Mourant comme à plaisir. 

Et il peignait aussi des vaches réalistes,
si réalistes et si parfaites, si parfaites
qu'on se sentait, rien qu'à les voir, mélancoliques
Et prêt à ruminer, jusqu'à la fin des siècles. 

Horreur et abomination ! J'ai lu,

des romans-fleuves de bonté
et tant de vers, à la gloire du Premier Mai
Que je n'écris plus désormais,

Que sur le Deux du même mois. 

Il semble bien que l’homme,

bouscule fort le paysage,
Et cette route qui avait un ciel auparavant,
maintenant nous écrase,
De son entêtement commercial. 

Il en va de même avec la beauté,
et comme si nous refusions de l'acheter,
Ils l'emballent à leur goût et à leur mode. 

La beauté, laissons-la danser,
avec ses courtisans les plus inacceptables,
Entre le plein jour et la nuit ;
Ne la contraignons pas à avaler,
Comme un médicament la pilule de vérité. 

Et le réel ? Il nous le faut, sans aucun doute
mais que ce soit pour nous grandir,
pour nous rendre plus vastes,

pour nous faire frémir,
pour rédiger ce qui pour nous, doit être,
L’ordre du pain, tout autant que l'ordre de l'âme. 

Susurrez !


tel est mon ordre, aux forêts pures,
qu'elles disent en secret ce qui est leur secret,
et à la vérité : Cesse donc de stagner,
Tu te durcis jusqu'au mensonge.

Je ne suis pas recteur, je ne dirige rien,
Et voilà pourquoi j'accumule
Les erreurs de mon chant. 




Pablo Neruda —