Duy Tân : l’empereur rebelle devenu soldat de la France libre — Il demeure une figure rare et exemplaire, un souverain renversé par une nation dont il devint l’un des héros.
Pierre Dieulefils - Document personnel - Domaine public
• En ce 8 mai, jour où la France se souvient des sacrifices consentis pour vaincre le nazisme, il est juste de se rappeler aussi ceux qui, venus d’horizons lointains, ont combattu pour sa liberté. Parmi eux, une figure aussi singulière qu’héroïque : Duy Tân, l’ancien empereur d’Annam. Ce jeune souverain d’une ancienne région de l’actuel Vietnam est ainsi devenu un résistant, puis un soldat au service de la France libre. Sa vie, tout en contrastes, illustre alors la complexité des liens entre colonisation, honneur et engagement pour la liberté.
◆Un enfant sur le trône
• Né le 3 août 1900 à Hué, Nguyen Phuc Vinh San est proclamé, à l’âge de seulement 7 ans, empereur d’Annam sous le nom de règne Duy Tân, signifiant « Ami de la Rénovation ».
— Il succède alors à son père, l’empereur Thanh Thai, que les autorités coloniales françaises avaient destitué sous le prétexte de la folie. La France, qui contrôlait alors l’Indochine, espérait sans doute faire de l’enfant un souverain docile, mais elle sous-estimait son intelligence et son tempérament.
• Ainsi, dès son adolescence, Duy Tân manifeste une volonté farouche de restaurer la dignité de son peuple. En 1916, profitant de l’affaiblissement d’une France embourbée dans la Première Guerre mondiale, le jeune empereur décide d’organiser un complot visant à soulever son peuple contre la domination française. L’affaire est cependant éventée avant son accomplissement et la répression fut sans équivoque : le jeune empereur fut déchu et exilé sur l’île de La Réunion.
◆Un prince en exil
• Isolé, désormais, au milieu de l’océan Indien, Duy Tân accepte son sort et choisit de mener une vie modeste, loin des fastes impériaux. Il se marie, fonde une famille et se passionne pour la communication radio. Ce déracinement, loin de l’anéantir, forge un homme cultivé, résilient et profondément attaché à son peuple. Il lit, étudie, s’informe et ne renie jamais son engagement initial pour l’indépendance du Vietnam.
• Cependant, son patriotisme ne fut jamais haineux. Intégré à la société réunionnaise, il mène une existence paisible et respectée. Loin d’adopter un nationalisme revanchard, Duy Tân s’inscrit également dans une vision plus large de la lutte pour la liberté des peuples. C’est cette pensée qui va l’amener, paradoxalement, mais lucidement, à prendre les armes pour la France.
◆Résistant et soldat
• Après que la France eut accepté la défaite face à l’Allemagne en 1940, une voix s’éleva pour dire que « la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas ». Cette parole, même Duy Tân l’entendit à La Réunion. Prêt à défendre un idéal universel de liberté au-delà des rancunes coloniales, il déclara alors : « De Gaulle, j'ai déjà vu ce nom-là quelque part. Qu'importe, puisqu'il veut continuer la lutte ! Quand ça serait un cul-de-jatte, il faut le suivre ! »
• Il décida alors de mettre ses talents de radiotélégraphiste au service de la Résistance, diffusant, sur une île contrôlée par le régime de Vichy, les discours de la France libre. Découvert puis emprisonné pendant un mois pour activités « antifrançaises », Duy Tân s’engagea ensuite comme soldat en 1944 au sein des Forces françaises et participa aux combats de la Libération. En hommage à sa bravoure, il devint chef de bataillon et reçut, en mars 1945, la médaille de la Résistance avec rosette.
◆Le retour de l’empereur ?
• Après la victoire, le général de Gaulle, admiratif de la loyauté et du courage de Duy Tân, voit en lui un partenaire précieux pour préserver les relations entre la France et l’Indochine dans le projet d’une décolonisation faite dans l’apaisement. Il écrit ainsi, dans ses Mémoires : « Aux fins qui pourraient être utiles, je nourris un dessein secret. Il s'agit de donner à l'ancien empereur Duy-Tân les moyens de reparaître […].
• Duy-Tân, détrôné en 1916 par l'autorité française, redevenu le prince Vinh-San et transféré à La Réunion, a néanmoins, au cours de cette guerre, tenu à servir dans notre armée. Il y a le grade de commandant. C'est une personnalité forte. Quelque trente années d'exil n'ont pas effacé dans l'âme du peuple annamite le souvenir de ce souverain. [..] je le recevrai, pour voir avec lui, d'homme à homme, ce que nous pourrons faire ensemble. »
• En effet, de Gaulle préfère pour la France une Indochine alliée, incarnée par Duy Tân, à celle que revendique le communiste Hô Chi Minh. Le 29 août 1945, Duy Tân déclara ainsi, dans son premier discours adressé au peuple vietnamien depuis son exil, que « l’avenir de son pays ne peut se concevoir que par des liens d’amitié et de coopération avec la France ».
◆Destin cruel
• Malheureusement, ce projet prometteur ne vit jamais le jour. Le 26 décembre 1945, alors que Duy Tân organisait son retour dans sa patrie, son avion s’écrasa au Tchad. Il meurt ainsi à 46 ans, au moment même où son retour semblait enfin possible. Sans lui, peut-être la France et l’Indochine auraient-elles pu éviter une guerre coloniale aussi longue que meurtrière.
• En 1987, ses cendres sont rapatriées, avec le soutien de Jacques Chirac, à Hué, sa ville natale, et inhumées auprès de son père et de son grand-père. Aujourd’hui encore, il demeure une figure rare et exemplaire de l'Histoire, un souverain renversé par une nation dont il devint l’un des héros.
— Source : Boulevard Voltaire
— Jeudi 8 mai 2025