De plus en plus de jeunes partent étudier et travailler à l'étranger, de quoi craindre un important déséquilibre démographique. | Gaurav Bagdi via Unsplash
≈ Partir vivre au Bhoutan, le pays du «bonheur national brut» : bonne ou mauvaise idée?
■ Au cœur de l'Himalaya oriental, coincé entre l'Inde et la Chine, les deux pays les plus peuplés au monde, le Bhoutan est un royaume caché. «L'indice» évalue le bien-être de cette population dont le bouddhisme est le ciment.
• Cette monarchie bouddhiste de 700.000 âmes est singulière : elle impose une taxe de développement durable (la taxe touristique) de 100 dollars (environ 92 euros) par jour aux visiteurs internationaux, la télévision n'y est arrivée qu'en 1999, les portraits du roi Jigme Khesar sont dans presque toutes les maisons et, contrairement aux plus riches, la famille royale vit humblement au sein d'habitations modestes.
• Surtout, le «pays du Dragon-Tonnerre» est connu pour être le berceau du «bonheur national brut» (BNB). Inscrit dans la constitution promulguée le 18 juillet 2008, cet indice permet au gouvernement de mesurer le bien-être de sa population. CNN s'est demandé si le pays était vraiment heureux, et ce que cela pouvait bien signifier pour les Bhoutanais.
• Le rapport mondial sur le bonheur, publié chaque année par l'Université d'Oxford (Royaume-Uni) et les Nations unies, place les pays nordiques (Finlande, Suède et Danemark) en tête de son classement. Cent quarante-trois territoires du monde entier y figurent. Mais le Bhoutan, lui n'en fait pas partie.
«Notre peuple était heureux, mais aujourd'hui, à cause de toutes ces choses modernes, toutes ces technologies, nous avons tendance à être plus déprimés, plus tristes», évalue Tandin Phubz, créateur de la page Facebook Humans of Thimphu («Thimphou» en français, la capitale du Bhoutan).
La modernisation entrerait en collision avec la religion du pays, le bouddhisme, et serait un facteur de mal-être. «Le problème, c'est qu'avec tous ces gadgets et ces télévisions, les gens sont distraits. Ils ont tendance à oublier de faire leurs prières du matin et du soir. Ils sont sur leur téléphone, regardent des TikTok [sic]…»
«Apprendre de nouvelles façons de faire»
• Cependant, la modernisation du Bhoutan est à relativiser. À titre d'exemple, Thimphou est la seule capitale mondiale à ne pas disposer de feux de circulation. Le «pays du Dragon-Tonnerre» est également l'une des rares destinations qui ne regorgent pas de marques internationales. Bien qu'il y en ait quelques-unes –des antennes des chaînes hôtelières haut de gamme Le Meridien et Aman, par exemple–, même la capitale est, pour l'essentiel, dépourvue de logos d'entreprises.
• Raisons pour lesquelles de plus en plus de jeunes partent étudier et travailler à l'étranger.
De quoi craindre un important déséquilibre démographique, à l'instar du Japon et de la Corée du Sud. «Mon inquiétude est qu'après sept ans passés dans d'autres pays, ils se familiarisent avec les coutumes et les habitudes de ces États.
Il leur sera très difficile de se réadapter au Bhoutan», pointe KJ Temphel, fondateur de l'association de protection de la nature Green Bhutan. Selon les données du gouvernement, le revenu par habitant au Bhoutan est de 115.787 ngultrums (environ 1.280 euros) par an.
Un point fort du pays reste sa mentalité centrée sur la communauté, selon KJ Temphel. Il n'est pas rare que des voisins passent sans être invités et que tout le village rende visite à un nouveau-né ou accueille quelqu'un de retour de l'hôpital. D'après Wangmo, une jeune femme qui a passé ses années d'études en Inde avant de revenir au Bhoutan, ce sens de l'esprit communautaire peut s'avérer étouffant. Au point qu'elle a du mal à dire aux gens qu'elle veut dîner seule ou qu'elle ne veut pas recevoir d'invités tous les jours.
«La façon dont nous vivons est ancienne. Nous devons apprendre et accepter de nouvelles façons de faire», analyse la gérante d'un café bhoutanais. Elle explique que les services comme la planification des réunions, les messages en dehors du bureau et le service clientèle en ligne n'existent généralement pas dans les bureaux. La plupart des emplois requièrent par ailleurs le port de la tenue traditionnelle — un vêtement une pièce appelée «gho» avec des chaussettes qui montent jusqu'aux genoux pour les hommes, et un ensemble veste et jupe appelé «kari» pour les femmes.
La jeune femme se prépare toutefois à une ouverture du pays sur le monde: «Le changement va nous toucher de plein fouet. Certains ne sont pas heureux, d'autres ont peur : ils ne savent pas ce qui va se passer, s'ils pourront y survivre.» Malgré le système de santé publique gratuit du Bhoutan, Wangmo pointe un autre mal du pays : le tabou autour de la santé mentale. Assez paradoxal.
— Source documentaire : Slate France
■—Elias Insa—