Le rôle de l'écrivain ne se sépare pas de devoirs difficiles.
Par définition, il ne peut se mettre aujourd'hui au service de ceux qui font l'histoire.
Il est au service de ceux qui la subissent.
Ou sinon, le voici seul et privé de son art.
Toutes les armées de la tyrannie, avec leurs millions d'hommes, ne l'enlèveront pas à la solitude, même et surtout s'ils consentent à prendre leurs pas.
Mais le silence d'un prisonnier inconnu, abandonné aux humiliations à l'autre bout du monde, suffit à retirer l'écrivain de l'exil chaque fois du moins qu'il parvient, au milieu des privilèges de la liberté, à ne pas oublier ce silence et à le relayer pour le faire retentir par les moyens de l'art.
Aucun de nous n'est assez grand pour une pareille vocation.
Mais dans toutes les circonstances de sa vie, obscure ou provisoirement célèbre, jeté dans les fers de la tyrannie ou libre pour un temps de s'exprimer, l'écrivain peut retrouver le sentiment d'une communauté vivante qui le justifiera, à la seule condition qu'il accepte, autant qu'il peut, les deux charges qui font la grandeur de son métier, le service de la vérité et celui de la liberté.
— Albert Camus, Extrait Du Discours Prononcé
Lors De La Remise Du Prix Nobel En 1957
■ Albert Camus —