Le Poète Ouïghour Abduqadir Jalalidin
Prisonnier, Abduqadir Jalalidin Le Poète Ouïghour A Fait Entendre Sa Voix Hors Des Camps Chinois.
Le 29 janvier 2018, la police chinoise
fait irruption au domicile d’Abduqadir Jalalidin. une cagoule noire est placée sur sa tête, et jalalidin disparaît; le lendemain, c’est son épouse, Jemile Saqi, qui est arrêtée elle aussi.
Tous deux sont transférés dans ce que les autorités nomment : « camps de rééducation politique »,
en réalité des lieux concentrationnaires pour les Ouïghours, une minorité musulmane principalement installée dans la région du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine.
Depuis 2014, on estime qu’entre un et trois millions d’Ouïghours, mais aussi Kazakhs, Kirghiz, Ouzbeks et Tadjiks sont détenus dans ces camps.
Écrivain et philosophe, Abduqadir Jalalidin était professeur à l’Université Normale du Xinjiang,
où il enseignait la poésie médiévale d’Asie centrale. Étant Lui-même poète, il travaillait à la préservation et transmission de la culture et identité Ouïghour, que le gouvernement chinois cherche à éradiquer, en persécutant les corps dépositaires de cette mémoire collective.
Depuis Son Arrestation
Plus Personne N’a Entendu Parler De Jalalidin .
Cependant, l’été dernier « le silence s’est rompu ».
« Même enfermé, l’ancien professeur continuait à écrire de la poésie, et certains détenus ont conservés en mémoire ses poèmes, et réussi même à en transmettre un à l’extérieur du camp » .
Ce poème, intitulé
« Yanarim Yoq », « Sans chemin de retour », donne voix au désastre du peuple ouïghour.
Le New York Times a publié la traduction anglaise
qu’en a donné Joshua L. Freeman, ancien étudiant du professeur, historien et traducteur de poésie ouïghour.
Ce poème est publié ici dans une version française, traduite avec l’aide du Dr Waris Janbaz :
Sans Chemin De Retour
Je suis seul dans un coin, sans mon amour,
Je fais des cauchemars, sans mon amulette,
Je suis sans autre désir que de rester en vie,
Mes pensées silencieuses me tourmentent et me laissent impuissant.
Qui étais-je autrefois, que suis-je devenu, je ne peux le savoir,
À qui pourrais-je raconter les désirs de mon cœur,
je ne peux le dire,
Je ne saurais deviner le tempérament de mon destin,
Ô mon amour j’ai envie d’aller vers toi ;je ne peux le décider.
À travers les fissures et les brèches, j’ai regardé les saisons changer,
Pour avoir de tes nouvelles j’ai cherché en vain les bourgeons et les fleurs,
Jusqu’à la moelle de mes os j’ai brûlé d’être avec toi,
Quel type d’endroit est-ce, avec un aller, sans chemin de retour.
≈ Garder En Mémoire
Plus qu’un témoignage,
le poème échappé de l’horreur révèle la persistance d’un monde qui a « survécu à son propre déclin », comme l’écrivait Adorno dans ses Modèles critiques. La poésie ouïghour fait œuvre aujourd’hui de résistance culturelle, et acte de survie.
Bien avant les camps,
elle faisait déjà partie de la vie quotidienne. Transmise aussi bien par tradition orale qu’écrite, la poésie ouïghour a souvent été mobilisée à travers l’histoire, comme ciment communautaire : au moment des révoltes anti-impérialistes contre la dynastie Qing, tout comme au moment de la Révolution culturelle, lors de laquelle les intellectuels et figures publiques ouïghour furent emprisonnés et virent leurs écrits être brûlés.
Ce n’est qu’à partir des années 1980
que la culture ouïghour a pu retrouver un timide essor, notamment par le biais de récitals et d’enregistrements, et d’un travail de collecte mené par des chercheurs et chercheuses désireux de préserver cet héritage séculaire.
Cette Respiration Aura Été De Courte Durée.
Aujourd’hui, alors que la Chine de Xi Jinping
enferme une partie de sa population dans des camps, lance des campagnes de stérilisation massive visant les femmes issues d’ethnies musulmanes, rase des mosquées et interdit les livres ouïgours, cette poésie se retrouve, à nouveau, dépositaire des mondes en faillite.
« Le monde a beaucoup à apprendre d’une culture qui a fait de l’art son antidote à l’autoritarisme. Derrière les barbelés et les tours de garde, mon ancien professeur nous a rappelé que nous ne devons pas rester silencieux pendant que cette culture est anéantie », estime Joshua L. Freeman.
Il revient désormais aux passeurs de faire leur office.
■— The New York Times —