22 janvier 2025

≡ Abandon De Soi Et Souffrance

 Seul Amour Véritable, L’abandon De Soi… 


Si J’avais Un Ami Et Que Je L’aime Pour Les Bienfaits Qu’il Peut Me Procurer, Selon Mon Bon Vouloir, Ce N’est Pas Mon Ami Que J’aimerais, Mais Moi-Même. 



•— Je dois aimer mon ami pour les bienfaits qu'il lui plaît de m'accorder, pour ses vertus propres : pour cela et pour rien d'autre que ce qui lui appartient. Cette façon d'aimer mon ami, que je viens d'évoquer, est la seule juste. 


•— Il en va de même pour l'homme qui se tient dans l'amour de Dieu, qui ne cherche rien pour lui-même ni en Dieu, ni en lui-même, ni en quoi que ce soit, mais qui n'aime que Dieu, pour les bienfaits qu'il lui plaît d'accorder, pour la bonté de sa nature, pour cela et pour rien d'autre que ce qui lui appartient; c'est là le seul amour juste.


•— Écoutons notre Seigneur : « Celui qui a abandonné quelque chose pour moi et en mon nom, je veux lui rendre au centuple, avec en plus la vie éternelle. » 


Mais si tu le fais pour être remboursé au centuple et pour la vie éternelle, tu n'as rien abandonné; non, quand bien même tu espérerais mille fois ta mise, tu n'as rien abandonné; c'est à toi-même qu'il faut renoncer, sans aucune restriction : c'est alors que tu renonces à bon escient. 


Un homme, il y a peu, est venu me trouver; il avait abandonné, me dit-il, de considérables richesses avec le dessein et le motif de sauver son âme. 


Ah, ai-je pensé, combien peu représente ce que tu as abandonné! Il n'y a là que sottise, de quelque manière qu'on envisage ton sacrifice. 


•— Si tu veux renoncer, c'est à toi qu'il faut renoncer. L'homme qui a renoncé à lui-même atteint une telle complétude que le monde ne peut le supporter.



Quand Dieu Lui-Même Souffre Avec Nous, Ce N’est Plus Une Souffrance



•— En Troisième Lieu, Je Dis : Que Dieu est avec nous dans la souffrance, cela signifie qu’il souffre lui-même avec nous. 


Vraiment, celui qui connaît la vérité sait que je dis vrai. Dieu souffre avec l'être humain, oui, à sa manière, il souffre même incomparablement plus que celui qui souffre, que celui qui souffre pour Dieu. 


•— Or je dis : Si Dieu lui-même veut souffrir, il est juste que je souffre aussi, car si je suis dans une juste disposition, je veux ce que Dieu veut. Tous les jours je demande et Dieu m'apprend à demander : « Seigneur, que ta volonté soit faite! » 


Et pourtant, quand Dieu veut la souffrance, je me plains de souffrir. C'est un grand tort. 


•— J'affirme avec assurance que Dieu souffre si volontiers avec nous et pour nous, que, quand nous souffrons seulement pour lui, Dieu lui-même souffre sans souffrir. 


Pour lui, souffrir est en effet si délectable que ce n'est pas une souffrance. 


•— C'est pourquoi, si nous sommes dans une juste disposition, la souffrance ne serait pas pour nous une souffrance, ce serait pour nous joie et consolation.




■— Maître Eckart (1260-1327) —