24 janvier 2025

≡ Chanson De L’homme


J’étais ici dès le commencement, et je suis encore ici.

Et je resterais ici jusqu’à la fin du monde,

Car il n’est pas de fin à mon être en proie à la douleur.



J’ai arpenté le ciel infini, je me suis élevé dans le monde idéal,

Et j’ai flotté dans le firmament.

Mais je suis ici prisonnier de la matière.



J’ai entendu les enseignements de Confucius;

J’ai écouté la sagesse de Brahma;

Je me suis assis à côté de Bouddha sous l’arbre de la connaissance.


— Pourtant, je suis ici, et mon existence est ignorance et Hérésie.



J’étais sur le Sinaï quand Jéhovah approcha Moïse;

J’ai vu les miracles du Nazaréen au Jourdain;

J’étais à Médine quand Mahomet fut visité.


— Pourtant, je suis ici, prisonnier de la confusion.



Puis j’ai été témoin de la puissance de Babylone;

J’ai appris la gloire de l’Égypte;

J’ai vu la grandeur guerrière de Rome.


— Pourtant, mes enseignements précédents,

M’ont montré la faiblesse, et la douleur de ces réalisations.



J’ai conversé avec les magiciens d’Ain Dour;

J’ai débattu avec les prêtres d’Assyrie;

J’ai sondé la profondeur des prophètes de Palestine.


— Pourtant, je recherche toujours la vérité.



J’ai recueilli la sagesse de l’Inde sereine;

J’ai exploré les antiquités de l’Arabie;

J’ai entendu tout ce qui peut être entendu;


— Pourtant, mon cœur est sourd et aveugle.



J’ai souffert des mains des souverains despotiques;

J’ai souffert l’esclavage des envahisseurs fous;

J’ai souffert la faim imposée par la tyrannie;


— Pourtant, je possède encore un pouvoir intérieur,

Avec lequel je lutte pour aborder chaque journée.



Mon esprit est rempli, mais mon cœur est vide :

Mon corps est vieux, mais mon coeur est un enfant.



Peut-être mon cœur rajeunira-t-il, mais je prie pour vieillir;

ET atteindre l’heure de mon retour vers Dieu.

Alors seulement, mon cœur se remplira!



J’étais ici dès le commencement, et je suis encore ici.

Et je resterais ici jusqu’à la fin du monde,

Car il n’est pas de fin à mon être en proie à la douleur.




Kahlil Gibran —