05 novembre 2025

≡ Exorcisme Et Guérison…

À travers ces interprétations, un point commun subsiste : abracadabra est un mot apotropaïque, c’est-à-dire destiné à conjurer le mal. — Francesco Bini — Wikimedia Commons



♓️ Aux Origines De L’étrange Formule Magique « Abracadabra »



Bien avant de se retrouver dans les spectacles de magie, « Abracadabra » était une formule protectrice utilisée comme amulette. Née dans la magie gréco-égyptienne, elle liait le mot écrit au corps malade, le visible à l’invisible.



Il suffit d’entendre Abracadabra pour imaginer une baguette qui s’agite, une colombe qui s’envole ou un lapin surgissant d’un chapeau. Mais avant de devenir ce gimmick un peu kitsch, symbole universel des spectacles de magie, la formule s’inscrivait dans une histoire bien plus ancienne et mystérieuse. Derrière ses syllabes enfantines se dissimule un passé ésotérique, entre remède médicinal et rituel et de protection contre le mal, résume un article du National Geographic.


Les premières traces écrites d’Abracadabra remontent au II siècle après J.-C. Dans son ouvrage Liber Medicinalis, le savant romain Quintus Serenus Sammonicus recommande d’inscrire le mot sur un morceau de parchemin, en forme de triangle inversé, pour soigner la fièvre. Chaque ligne ôte une lettre du mot, jusqu’à la disparition complète — métaphore visuelle d’une fièvre censée s’éteindre progressivement.


Serenus Sammonicus n’était pas un guérisseur amateur ni un charlatan : il faisait partie de l’élite intellectuelle de Rome, précepteur des enfants de l’empereur Septime Sévère. Son prestige contribua à populariser cette formule magique à travers l’Empire, qui en fit une amulette protectrice aussi bien qu’un remède.


Cette étrange disposition triangulaire n’était pas un hasard. Dans la tradition magique gréco-égyptienne, écrire un mot de manière décroissante imitait l’affaiblissement d’un esprit malveillant ou d’un mal physique. Le triangle devenait alors une forme protectrice. Certains papyrus grecs et coptes du III au VI siècle confirment que la méthode fut largement répandue.


Mais que signifiait exactement Abracadabra ? Les hypothèses abondent. Pour certains linguistes, le mot vient de l’hébreu ebra k'dabri, signifiant « je crée quand je parle ». D’autres y voient une racine araméenne, avra gavra, que l’on pourrait traduire par « je créerai l’homme », écho au récit biblique de la Création. Une autre lecture, avancée par l’historien médiéviste Don Skemer, y décèle l’expression hébraïque ha brachah dabarah, « nom du béni », un nom divin censé apporter guérison et protection.


Un symbole mystique puissant


À travers ces interprétations, un point commun subsiste : Abracadabra est un mot apotropaïque, c’est-à-dire destiné à conjurer le mal. Pour les sociétés anciennes où la maladie était souvent associée à un esprit malfaisant, il agissait comme une barrière linguistique entre le corps humain et le monde invisible.


Le mot a conservé longtemps sa réputation de remède. Des manuscrits médiévaux attestent de son usage dans des amulettes contre la fièvre. Au XVII siècle, l’écrivain anglais Daniel Defoe rapporte, dans Journal of the Plague Year, que les Londoniens inscrivaient encore Abracadabra sur des talismans censés repousser la peste, au même titre que les signes du zodiaque ou les symboles chrétiens.


À partir du XIX siècle, la formule quitte le domaine médical pour rejoindre celui de la scène. Le dramaturge britannique William Thomas Moncrieff l’introduit dans une pièce en 1811, associant pour la première fois la parole magique au monde de la prestidigitation. Au XX siècle, le mot ressurgit dans un contexte plus ésotérique : le magicien et occultiste Aleister Crowley y voit un symbole mystique d’une « nouvelle ère humaine », transformé en abrahadabra selon les principes de la cabale hermétique.


Reste une part d’ambiguïté qui continue d’envoûter, car personne ne sait véritablement ce que veut dire Abracadabra. Et c’est peut-être là que réside sa force, explique l’historienne Elyse Graham. Le mystère lui-même agit comme une incantation« Un mot magique tire son pouvoir de l’ignorance de ceux qui l’entendent. Plus il est opaque, plus il est fascinant. »


Chaque fois qu’un illusionniste lance un Abracadabra sur scène, il fait revivre des siècles de croyances, de peurs, et d’incantations occultes. Le mot, jadis murmuré à l’intention des dieux de Rome et d’Orient, conserve, en creux, encore un peu de son pouvoir magique.




— 27 octobre 2025 

— Source documentaire : Slate France




Clément Poursain —