Alain Delon, La Légende Du Cinéma, Est Mort
Alain Delon lors de l’une de ses dernières sorties publiques, en 2019, au Festival de Cannes. Christophe Simon/AFP
L'acteur français, né le 8 novembre 1935, est décédé le 18 août à l'âge de 88 ans. Sa beauté d'ange diabolique et sa présence féline révolutionneront le cinéma dans les films de Clément, Melville et Visconti.
Ça, on peut dire qu'il s'y était préparé. Alain Delon est mort tellement de fois à l'écran que cela a dû lui paraître une dernière prise.
Dieu, qui est un mauvais scénariste, a dit: « Coupez ! » Delon ne s'est pas relevé.
Il ne tiendra plus la barre du ketch de Plein soleil. Il ne noiera plus Maurice Ronet dans La Piscine. Il ne s'effondrera plus sous les yeux de Cathy Rosier dans une boîte de nuit tenue par Jean-Pierre Melville.
Il est aujourd’hui libéré de la guerre que se menaient ses enfants, Anthony, Alain-Fabien et Anouchka, déballant leur querelle dans un dramatique mélo médiatico-judiciaire, indigne de la star qu’était leur père.
Sa beauté d'ange et son regard bleu ont fait de lui un charmeur aux multiples conquêtes. Romy Schneider dira de lui « Bridgeman images.
Il fut un temps où le prince Tancrède de Lampedusa avait ce regard bleu, où Claudia Cardinale n'en revenait pas de danser dans les bras de ce fauve en uniforme garibaldien.
Delon était nerveux, charmeur, électrique, inquiétant. Il avançait de sa démarche de jaguar.
Le geste qu'il avait pour lisser le rebord de son chapeau de tueur à gages dans Le Samouraï…
Delon semblait toujours garder un secret.
Romy Schneider, radieuse, lui souriait en deux-pièces dans une bastide tropézienne.
Dans une chambre forte, Charles Bronson, torse nu, essayait de lui voler la vedette. C'était dans Adieu l'ami et l'Américain n'arrivait pas à faire de l'ombre au Français.
Son laconisme était légendaire
Il n'avait pas besoin de longues tirades pour exprimer le désarroi d'un Monsieur Klein (1976).
Il fut L'Homme pressé de Morand devant la caméra de Molinaro. Le titre lui allait bien.
La vie ne se déroulait sûrement pas assez vite à son goût. Delon enchaînait les chefs-d'œuvre, séduisait les metteurs en scène de génie.
Le Dernier Géant
Tout au long de sa carrière, on le compara à son alter ego Jean-Paul Belmondo. Les deux s'affrontèrent dans Borsalino (1970), se retrouvèrent dans Une chance sur deux (1998).
Ils avaient porté le cinéma français sur les épaules. Cette tâche avait fini par les lasser.
Delon tint la dragée haute à Gabin et Ventura, deux colosses.
Ce solitaire cultivait l'amitié.
D'un autre côté, ses brouilles n'étaient pas feintes. Sur un plateau, ses colères résonnaient comme le tonnerre dans une cathédrale.
Au fond de lui, il restait peut-être ce petit garçon de la banlieue dont les parents avaient divorcé quand il avait quatre ans, ce gamin placé en famille nourricière qui jouait dans la cour de la prison de Fresnes et qui avait entendu résonner les balles qui avaient exécuté Laval, l'apprenti charcutier qui avait préféré s'engager pour l'Indochine.
Ses 20 ans, il les fête en prison à Saïgon. Là-bas, il voit Touchez pas au grisbi. Le spectateur en treillis ne se doute pas une seconde que bientôt il partagera avec Gabin l'affiche de Mélodie en sous-sol (1963).
Il est impatient et ombrageux.
La vie, pour lui, est un ring. Il organise des championnats du monde de boxe, possède une écurie de chevaux de course, fraye avec la pègre, fréquente un temps le Rat Pack de Sinatra.
En 1968, on retrouve dans une décharge le cadavre de son garde du corps. C'est l'affaire Markovic. Delon en sort blanchi.
Il redoute les habitudes, se marie avec une femme qui est son double parfait, Nathalie, qui figure à ses côtés dans Le Samouraï.
Il respirait un air plus fort.
Il jouait à la première personne, avait des idées noires comme de l'encre. Il jouait pour deux publics distincts : celui du samedi soir d'une part, d'autre part pour lui-même.
Il passait pour inhumain. Il était difficile à répertorier dans le catalogue des hommes.
Ses ennemis espéraient sa fatigue. Elle semblait être venue.
Cet être à l'ancienne était fabriqué pour les duels, les serments partagés.
Ce cavalier seul fut couvert de femmes. Cette tête brûlée savait pleurer. Il émettait des opinions vraies. C'étaient les siennes.
Il ne venait de nulle part, c'est-à-dire qu'il remontait à la plus haute antiquité.
La tragédie ne lui était pas étrangère. Ce chat sauvage n'avait pas perdu ses griffes.
Il avait refusé la Légion d'honneur.
Il a couru le monde, choyé la France. Il ne la reconnaissait plus. Il ne se reconnaissait plus.
Son regard bleu était devenu gris. Il garde son mystère. Il part avec ses secrets. Le cinéma ne le méritait plus. Il ne le comprenait plus.
Il laisse derrière lui un parfum de deuil et de catastrophe.
Une fragrance qui a mal viré ces derniers mois, quand ses enfants, avec qui les relations n’étaient jamais simples, se sont publiquement déchirés sur fond d’un héritage encore à venir.
Parmi les dernières images qu’Alain Delon laisse, il y aura celles de ce monsieur un peu hagard, posant avec Anthony, Alain-Fabien ou Anouchka dans des manifestations d’amour filial calibrées pour les réseaux sociaux et les prétoires.
La passion porte un voile sombre.
Il n'y aura plus d'Alain Delon. Son épitaphe était prête : « J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu et par cet être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »
Il va falloir s'habituer à vivre dans un monde sans lui. Il n'est pas sûr qu'il soit tellement habitable.
Source: Le Figaro - Extraits de texte choisis.
— Dimanche 18 août 2024
■ Eric Neuhof —