Voltaire nu, 1776, Jean-Baptiste Pigalle, France, marbre
≈ Le Louvre, Formidable Miroir De Notre Quête De Beauté
En augmentant la précision de nos miroirs, les maitres verriers vénitiens n'ont sans doute pas réalisé à quel point cet objet troublant allait s'immiscer dans nos vies et les bouleverser pour toujours.
Chaque jour commence par un rendez-vous avec lui, c'est-à-dire avec toi-même. La beauté est devenue un travail et toi, ton juge le plus sévère.
Entre tous les sens, c'est la vue qui s'est imposée. Grâce au miroir, elle règne maintenant en maitresse sur la beauté. Voici ce que nous raconte à l'oreille, depuis quelques jours, La Femme au miroir, du Titien (1525-1550).
Dans cette salle 711 de l'aile Denon, au Louvre, c'est sa voisine La Joconde qui attire d'habitude tous les regards.
La Femme au Miroir 1525-1550
Mais, dans ce tout nouveau parcours proposé par le Louvre en partenariat avec L'Oréal, c'est elle, cette Vénitienne à sa toilette en train d'arranger sa chevelure, qui prend la parole via une application gratuite pour smartphone (doublée d'un cartel), renvoyant à un récit immersif dans lequel elle souligne ce basculement du regard sur notre apparence.
En sélectionnant une centaine d'œuvres issues de tous les départements du musée, ce programme d'un genre inédit questionne la beauté, ses représentations et ses pratiques depuis plus de 10.000 ans.
« Nous avons choisi d'intituler ce parcours ‹ de toute beauté ! › sans majuscule et au pluriel, car il n'était pas question, ici, de présenter une beauté idéale ni même d'en établir une histoire chronologique. Mais plutôt de raconter une beauté plurielle sans cesse réécrite par les artistes au fil des siècles et de l'évolution de nos sociétés, précise Gautier Verbeke, historien d'art et directeur de la médiation et du développement des publics Louvre.
Portrait d'une femme noire (Madeleine),
1800, Marie-Guillemine Benoist, Paris.
En traversant les civilisations, le musée est le lieu où ce grand récit peut se lire d'une œuvre à l'autre, où le regard peut s'ouvrir à toutes les formes de beauté. » Depuis la préhistoire, transformer son apparence, s'embellir, revendiquer une appartenance par la parure et de nos jours, par nos avatars numériques, demeure une constante anthropologique dont l'art a toujours témoigné.
Outre La Femme au miroir, le visiteur est invité à s'arrêter devant les objets de toilette et les ustensiles en tout genre qui nous renseignent sur l'évolution des pratiques cosmétiques : de ce peigne liturgique en ivoire sculpté datant du IXe siècle jusqu'au nécessaire de voyage de Marie-Antoinette avec ses 94 miroirs, poudriers, flacons, pots à onguent et autres brosses tout en argent, ivoire ou cristal.
Peigne liturgique ivoire
Sans oublier incroyable cuiller à fard forme de nageuse, du département des antiquités égyptiennes, ployée pour broyer les pigments noirs, verts et bleus du khôl. « Bien des femmes continuent à utiliser aujourd'hui ce trait qui borde le regard et cela nous semblait intéressant de montrer, notamment aux plus jeunes, que des gestes qu'ils répètent chaque matin ont plus de 2.500 ans et sont l'héritage d'une histoire dense racontée par les collections du Louvre », explique Delphine Urbach, directrice art, culture et patrimoine du groupe L'Oréal, qui a participé à l'élaboration de ce parcours. Car, si la volonté affichée du leader de l'industrie cosmétique est de défendre une certaine pluralité de la beauté, c'est aussi pour le Louvre l'occasion d'attirer de nouveaux publics.
« La mission de la médiation, c'est de partager et d'expliquer, mais aussi de tirer les fils qui nous ramènent à notre temps, à une culture pop, pour mieux rendre sensible, ici et maintenant, à l'Histoire »
■ Gautier Verbeke —
Directeur de la médiation et du développement des publics du Louvre
On retrouve donc la même correspondance entre hier et aujourd'hui avec la vision sublimée de cet Hermès, marbre romain du IIe siècle après J.-C. (situé dans l'aile Sully) aux proportions parfaites, et l'obsession actuelle des jeunes hommes aspirant à la morphologie d'un athlète façonné à renfort d'abonnements « à la salle ». La génération Z ignore probablement que ce culte du corps lisse et musculeux omniprésent sur les réseaux sociaux leur vient du canon établi, il y a plus de 2.000 ans, par Polyclète, selon lequel la tête doit faire précisément un septième du corps ; les jambes et le torse trois fois la taille de la tête et que la distance entre le pied et le genou doit être aussi larges que les épaules.
« Disparu au Moyen Âge, ce modèle gréco-romain, avec sa nudité héroïque et son idée du kalos kagathos, c'est-à-dire le corps comme reflet de l'âme, n'a cessé de revenir dans l'art, poursuit Gautier Verbeke. À la Renaissance d'abord, fascinée par l'Antiquité, puis lors de la période néoclassique et au XXe siècle.
Aujourd'hui encore, le modèle que représente cet Hermès, qui a traversé le monde occidental, demeure l'archétype de l'idéal masculin. En atteste l'essor de tous les mouvements autour de la gymnastique, du sport et du corps. »
Cette résonance avec notre époque fait toute la pertinence du parcours prévu pour durer au moins trois ans. C'est la fameuse « essentialité de la beauté » si chère à L'Oréal pour signifier que la beauté n'est pas uniquement une histoire de canons ni de rituels cosmétiques, mais qu'elle procède aussi (et surtout) d'un héritage culturel. « La quête de beauté n'est pas si anecdotique, elle pose des questions anthropologiques, selon Delphine Urbach. Sélectionner des œuvres qui parlent, par exemple, de cicatrices ou du genre permet de démocratiser ces sujets auprès des jeunes, mais aussi, plus largement, de questionner nos identités et conceptions autour du corps et de ses représentations. » On ne coupera pas aux thèmes contemporains invitant à l'inclusion et à la tolérance : la vieillesse avec la statue du Voltaire nu, au visage ridé et au corps émacié, de Jean-Baptiste Pigalle ; les cicatrices, avec ce portrait flamand de Jan van Wassenaer qui nous dit de sa balafre : « Elle est le trésor de mon âme, elle me grandit et me rend beau » ; le « body positivity » avec la Bethsabée de Rembrandt rappelant que, si d'autres époques ont aimé des corps féminins plus ascétiques et lisses, les cuisses rondes, le ventre généreux et les courbes sensuelles ont, elles aussi, leurs multiples représentations ; mais aussi le genre grâce à la sublime sculpture d'Hermaphrodite endormi, qui interrogeait déjà cette notion à l'Antiquité.
Ces contrepoints à la beauté classique devraient faire mouche auprès des plus jeunes. D'autant que la tonalité très neuve du parcours, en particulier grâce aux contenus de l'application, délivre des clés de compréhension et de décryptage très accessibles : c'est l'œuvre ou l'objet qui s'adressent directement au visiteur et à la première personne. « La mission de la médiation, c'est de partager et d'expliquer, mais aussi de tirer les fils qui nous ramènent à notre temps, à une culture pop, pour mieux rendre sensible, ici et maintenant, à l'Histoire et à l'histoire ancienne des formes et des images.
Il se trouve que la beauté, ses pratiques, ses gestes, ses canons est un sujet majeur de conversation sur les réseaux sociaux, observe Gautier Verbeke. C'est un thème très populaire et à travers lui nous approchons un public plus jeune qui ne se tourne pas spontanément vers le musée. »
Le parcours a d'ailleurs déjà été « testé » par des 22-28 ans, leurs réactions et leurs commentaires filmés feront l'objet d'une web-série coproduite par le Louvre et L'Oréal et diffusée début 2025.
▲ Aron O’Raney —