◆ Un enseignement mystérieux…
L'Inde a toujours été surprenante, mêlant foi chrétienne à des mystères millénaires. Dans la région du Kerala, des légendes circulent sur la jeunesse de Jésus, révélant des liens fascinants entre l'Orient et l'Occident.
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Lorsque vous voyagez pour la première fois en Inde, vous ne vous attendez pas à observer une vie spirituelle et religieuse aussi foisonnante. Or, dans l'État du Kerala, dans le sud de l'Inde, la foi chrétienne n'a cessé de se diffuser au fil des siècles, au point que l'histoire des chrétiens du Kerala renouvelle notre regard sur le monde.
À travers le christianisme en Inde, ce sont des liens inattendus entre l'Orient et l'Occident qui surgissent. Plus étonnant encore, il n'est pas rare de rencontrer des Indiens persuadés que Jésus a vécu une partie de son existence sur leurs terres.
Il est vrai que l'Église officielle demeure muette sur l'existence de Jésus de ses 12 ans à l'aube de ses 30 ans, date marquant le début de ses prêches et de sa vie publique. Cette absence a nourri depuis longtemps des spéculations sur sa destinée, en particulier dans les milieux ésotériques, beaucoup ne se résolvent pas à l'idée que Jésus n'était qu'un simple forgeron.
À l'inverse, du côté des historiens, la supposition d'un séjour de Jésus en Inde est considérée comme fantaisiste. Pourtant, cette période, d'ailleurs appelée « vie cachée de Jésus », continue de susciter la curiosité… et la controverse !
Pour certaines, ces années auraient été celles de l'apprentissage spirituel de Jésus, qui l'auraient conduit auprès des plus grands sages d'Orient. Cette possibilité, si elle peut paraître loufoque, contient malgré tout l'immense avantage de rouvrir les horizons spirituels autour d'une figure et d'un enseignement longtemps demeurés captifs de la seule Église.
≈ Découverte d'un manuscrit à la frontière du Tibet
Dès 1853, l’ouvrage d’une femme, Mrs Hervey, The adventures of a Lady in Tartary, Thibet, China, and Kashmir, décrit des textes tibétains mentionnant Jésus. Dans certaines librairies indiennes, des livres prétendent prouver la présence de Jésus sur les terres du nord de l’Inde durant sa jeunesse.
À l’instar du livre à l’origine d’un scandale qui ébranla l’ordre établi de l’époque, publié en 1894, The Unknown Life of Jesus Christ : Life of Saint Issa, écrit par Nicolas Notovitch, un explorateur juif russe. Ses propos continuent de questionner l’histoire officielle. L’ouvrage relate ses explorations et la découverte d’un surprenant manuscrit lors d’un séjour dans la région montagneuse du Ladakh entre le 14 octobre et le 26 novembre 1887.
L’abbé d’un monastère bouddhiste lui confia que des manuscrits retraçant la vie de Jésus se trouvaient à Lhassa – à l’époque absolument fermée à tout « homme blanc », tout comme l’ensemble du Tibet. Malgré cette interdiction, Notovitch décida de se rendre à Lhassa à la recherche des documents tant décrits. Mais alors qu’il était encore à Leh, la capitale du Ladakh à la frontière tibétaine, Notovitch visita le monastère de Hemis et rencontra son abbé.
Lorsque Notovitch lui demanda s’il savait quelque chose à propos d’un certain Isha, il fut stupéfait de recevoir cette réponse : « Le nom d’Isha est très respecté par les bouddhistes. Mais on en sait peu sur lui, sauf par les principaux lamas, qui ont lu les parchemins relatifs à sa vie… Parmi les manuscrits de notre bibliothèque monastique, on trouve des descriptions de la vie et des actes du Bouddha Isha, qui a prêché la sainte doctrine en Inde et parmi les enfants d’Israël et qui a été mis à mort par les païens, dont les descendants, ont depuis embrassé les doctrines qu’il a alors propagées… Les documents [sur Isha] apportés de l’Inde au Népal et du Népal au Tibet concernant son existence sont écrits en langue Pali et sont maintenant à Lhassa. Mais une copie dans notre langue – c’est-à-dire le tibétain – existe dans ce monastère. » Le titre du manuscrit serait La vie de Saint Issa.
En 1894, de retour en Europe, le journaliste explorateur publie ce qu’il avait été autorisé à copier des rouleaux. Son travail suscite un tollé. Rapidement, l’Église catholique décrète l’ouvrage Index librorum prohibitorum, ce qui signifie « l’Index des livres interdits ». Le livre n’échappe pas à l’examen des érudits.
Pour commencer, Notovitch ne peut fournir aucun manuscrit à examiner. Le grand orientaliste Max Müller, qui traduit des textes sacrés orientaux, s’intéresse aux revendications de Notovitch. Il souligne qu’une telle œuvre aurait inévitablement été incluse dans les grandes listes canoniques de livres tibétains, le Kanjur et le Tanjur – alors que ce n’est pas le cas.
Peu de temps après la publication de son livre, vers la fin de 1895, Notovitch fut arrêté lors d’une visite à Saint-Pétersbourg et fut d’abord emprisonné dans une forteresse.
Accusé d’activité littéraire dangereuse pour l’État et pour la société, il fut exilé sans procès en Sibérie par le chef du département ministériel. Son bannissement prit fin en 1897.
Si les affirmations de Notovitch étaient fausses, pourquoi aurait-il risqué à la fois sa carrière, qui en pâtit largement, et sa vie ?
Des années plus tard, en 1922, un contemporain de Swami Vivekananda, appelé Swami Abhedananda, disciple direct de Sri Ramakrishna Paramahamsa et vice-président de la mission Ramakrishna, visita également le monastère de Hemis lors d’un voyage d’étude du bouddhisme. À la fin des années 1970, lors d’une interview avec Dick et Janet Bock, son disciple Swami Prajnananda déclara que son maître « avait trouvé les rouleaux et avait traduit tous les écrits, tous les incidents de la vie du Christ ». Swami Abhedananda les raconta dans son livre Journey into Kashmir and Tibet.
Ainsi, l’abbé guida le visiteur à travers les pièces du monastère jusqu’à ce qu’ils arrivent à une étagère, d’où il sortit un manuscrit. Ce dernier était censé être une copie de l’original conservé dans le monastère de Marbour, près de Lhassa.
Abhedananda demanda à l’abbé de l’aider à traduire le texte. Jusque-là, Abhedananda avait été sceptique quant aux publications de Notovitch, mais, quand il vit ce manuscrit, il admit l’authenticité de sa découverte.
À la mort de Swami Abhedananda, l’un de ses disciples se rendit au monastère de Hemis à la recherche du précieux manuscrit. Mais le document avait disparu.
— Des connexions ignorées avec le Moyen-Orient
Cette découverte secoua le monde chrétien. Si cette hypothèse paraît incroyable aujourd’hui, peut-on trouver des indices qui la rendent plausible, en la restituant dans le contexte de l’époque ?
De nombreux auteurs ont démontré l’existence de liens non seulement terrestres entre l’Inde et le Proche-Orient, mais aussi spirituels, unissant le message christique et les croyances philosophiques orientales.
Cette lecture de l’histoire nous rappelle combien ces régions d’Orient composaient un paysage de richesse spirituelle, loin de la séparation qu’on se figure aujourd’hui. D’après le professeur Raphaël Liogier, dans son livre Jésus, Bouddha d’Occident, « la province où grandit Jésus, la très grecque Galilée, resta d’ailleurs un espace cosmopolite en dépit de ces retournements politiques éphémères […]
Cette mixité culturelle, vaste, dynamique, pacifique, est sans équivalents médiévaux. Nous mesurons mal ce prodige, cette exception historique enfouie, oubliée au milieu des millénaires de cruauté et d’intolérance qui lui furent antérieurs et postérieurs. Il faudra attendre le XIXe siècle, et surtout le XXe, pour que de nouvelles passerelles se fixent entre l’Orient et l’Occident. »
Le message d’amour de Jésus et sa liberté transcendante puiseraient-ils leurs sources dans ces régions influencées de compassion bouddhique, auprès de grands sages éveillés ? La question demeure encore taboue.
Depuis, les liens entre la Galilée, la Perse et l’Orient tombèrent dans l’oubli, alors que de nombreuses connexions facilitaient pourtant les voyages et les échanges. D’une part, via la fameuse route de la soie au Nord, celle qu’aurait empruntée Jésus-Isha. D’autre part, via la mer, reliant le port du golfe Persique à la côte de Malabar, l’actuel littoral de l’État du Kerala. C’était par cette voie que se faisait le commerce de l’Orient. C’est également celle qu’aurait suivie l’apôtre Thomas, devenu l’esclave d’un marchand dans le but de rejoindre les côtes indiennes.
Si la venue de Thomas n’a jamais été attestée par les historiens, sa légende demeure vivace dans l’esprit des communautés chrétiennes du Kerala. En ce qui concerne les liens entre Jésus et l’Extrême-Orient, Raphaël Liogier rappelle encore que « la venue du Sauveur est aussi, à en croire les Évangiles, un événement aux retentissements asiatiques.
Matthieu l’évangéliste rapporte la visite de mages venus des confins du soleil levant pour saluer sa naissance », révélant par là que les échanges entre la Galilée et l’Asie n’étaient pas aussi rares et incroyables qu’on peut se le figurer. Et pour aller plus loin encore, ces trois êtres connaissaient-ils l’immense mission spirituelle de Jésus ?
≈ Alors, Jésus a-t-il visité l’Himalaya ?
Ce mystère éveille l’imagination. Un tel voyage, même dans l’Antiquité, n’était pas impossible. Mais d’un point de vue d’historien, il n’y a pas de véritables preuves. Toutefois, l’hypothèse nous fait basculer dans un monde un peu plus mystique et enchanteur.
— Publication du vendredi 13 décembre 2024
■ Inexploré Magazine —