〓 La Perte De L’illusion De La Santé Et D’une Pérennité Relative De La Vie Humaine Engendre Les Détresses De L’être Souffrant Et Mortel.
• La volonté d’« avoir » quelques biens, d’« avoir » un corps ou plus radicalement d’« avoir » à vivre peut en être touchée.
• La perte du corps qui dure atteint l'identité et sa représentation, elle conduit à cette perte de l'illusion d'être, qui est sans doute la plus « affolante » dans ses manifestations.
• Découvrir sa non-identité, le sans-nom que nous sommes, conduit bien au-delà des blessures narcissiques qui ne faisaient que relativiser notre situation dans le monde.
• Ce qui est touché ici, ce n'est pas une situation, mais une essence : le pur fait d'exister, Naît alors la détresse de ne pas être, de n'avoir jamais été que comme illusion.
≈ Cette Illusion S’appelle Bien Je, Moi,
• La nier c'est encore l’entretenir ; si l’on arrive à en rire, il y aura sans doute trace d’un autre exister, d’un sans-forme dans la forme. Mais qu’est-ce qu’un sans-forme pour celui qui n’est que forme ?
Forme identifiable à laquelle il s’est identifié.
• La perte de l'illusion du sens et de l'ordre, le désir tenace que le monde et l'exister humain puissent s'expliquer et relever d'une cohérence qui s'exprimerait rationnellement. Cette perte engendre la détresse devant l'absurde par l'enfermement dans une rationalité close, imperméable au Réel qui frustre les savoirs a priori…
• Ces enfermements auxquels on a donné le nom de folie ou de maladie mentale : Perte du sens dans l'explication, Refus du « chercher à comprendre » Dans une cohérence où désormais tout est compris. La perte de l'illusion que l'on aime ou que l'on est aimé. La perte de l'amour sous ses formes les plus vitales ou les plus élaborées, sexe, tendresse ou compassion.
« L’enfer c'est de ne plus aimer », détresse qui creuse les solitudes et dresse entre humains les murs de l'incompréhension et de la séparation. Détresse de l'homme qui n'existe pour personne et pour qui personne n'existe sous les simulacres devenus intolérables de la sociabilité.
• Le refus de la perte ne fera qu'aggraver le symptôme, accroître la maladie, que ce soit perte de la santé, de la raison, de l'amour ou de l'identité. « Il Faut Accepter », « Faire Le Deuil », Dira-T-On.
• Il n'y a plus rien à perdre si l’on sait que ce que l'on perd est illusion. Encore faut-il le savoir ; mais justement, cela ne se sait pas.
• En Prendre Conscience Alors ? Oui, si l’on donne au terme de conscience tout son statut d’expérience : être conscient de ce qui demeurera inconscient (ce qu'on ramène à la conscience est bien évidemment de l'ordre de l'illusion, plus dure, plus lourde à laisser que les autres, parce que fraîchement découverte ; la plus fraîche découverte du plus ancien n'est encore rien de neuf).
• Mais Est-Ce Possible De Vivre Sans Illusion ?
• Vivre N’est-ce pas S’illusionner ?
• Y A-T-Il Quelque Chose Qui Résiste À La Perte Ou À L’analyse De Ces Illusions ?
• Que Reste-T-Il Quand Il Ne Reste Plus Rien ?
• S'il N'y A Que Des Illusions À Perdre, Pourquoi Cette Perte Est-Elle Si Douloureuse ?
• En s'engageant dans le travail d'anamnèse, celui qui « ne va pas bien » prend le risque d'aller plus mal encore. Il ne pourrait le faire s'il n'avait la certitude désillusionnée qu'au-delà du pire, il y a un meilleur, mais cela, il ne le sait pas.
≈ C’est Le Thérapeute Qui Est Supposé Savoir.
• Si lui non plus ne savait pas, alors ils seraient deux et plusieurs à se fondre dans le pire : croire que la mort est la réponse, la solution ou, comme l'ont dit certains, l'Autre. Cet Autre-là, comme la mort, est aussi à vérifier comme illusion.
« Au-delà du principe de plaisir », il fallait sans doute parler de pulsion de mort, mais au-delà de la pulsion de mort ?
• L’ultime Détente Serait-Elle Repos Qui Couve Un Plus Haut Désir ?
• Mais, avant de donner accès à ce plus haut désir, il n'est pas inutile de désespérer, perdre son âme (son moi) pour la trouver. La trouver perdue : trouée.
• Pour faire perdre à Narcisse ses illusions il n'est pourtant pas nécessaire de le noyer. Un bain, une plongée dans son image suffisent. L'eau où le fascine son image n'est pas une glace, elle n'en est pas moins glacée. Suffisante à un réveil.
— Extrait de « Manque et Plénitude »
■—Jean-Yves Leloup —