Après Cela, Nous Devons Étudier La Nature De L’âme, En Nous Reportant Pour Éprouver Chacune De Nos Assertions, Aux Sensations Et Aux Affections : Car C’est De Cette Manière Que Nous Pourrons Avoir En Nos Assertions La Plus Ferme Confiance.
Comprenons donc que l’âme est un corps composé de particules subtiles, disséminé dans tout l’agrégat constituant notre corps ; qu’elle ressemble beaucoup à un souffle mêlé d’une certaine quantité de chaleur, car elle est semblable d’une part au souffle et de l’autre à la chaleur ; mais qu’une certaine partie l’emporte de beaucoup en subtilité sur le souffle et la chaleur mêmes et que celle-ci, grâce à cela, est plus intimement unie à tout le reste de l’agrégat.
C’est ce que rendent manifeste les facultés de l’âme, ses affections, ses mouvements rapides, ses pensées, bref, tout ce dont la privation entraîne la mort. Il faut, aussi, bien se mettre dans l’idée que la cause principale de la sensibilité réside dans l’âme.
Sans doute elle ne la posséderait pas si elle n’était enveloppée d’une certaine façon par le reste de l’agrégat. Mais, d’un autre côté, c’est grâce à l’âme que le reste de l’agrégat se trouve posséder lui aussi, sans partager d’ailleurs avec l’âme toutes les facultés de l’âme, la sensibilité comme accident : c’est pourquoi, lorsque l’âme se retire, le corps n’a plus la sensibilité.
Car, encore une fois, il ne la possédait pas sur lui-même, mais seulement par le fait d’une autre chose mêlée à lui. Cette chose réalise sa faculté de sentir dans l’agrégat seulement, puis, quand cette faculté est réalisée, la chose suffit par elle-même à éprouver, dès qu’un mouvement est donné, une impression sensible, et cette sensibilité qui n’est pas en elle rigoureusement essentielle, elle la communique au reste de l’agrégat au moyen, comme je l’ai dit, de sa contiguïté et de son accord avec lui.
Aussi l’âme étant la cause principale de la sensibilité, ne la perdra-t-elle jamais tant qu’elle sera présente dans l’agrégat, même si une partie de celui-ci a été enlevée ; et de quelques facultés de l’âme que la dissolution de l’agrégat, atteint dans son tout ou dans ses parties, entraîne la perte, toujours, tant qu’elle restera dans l’agrégat, elle conservera la sensibilité ; tandis qu'au contraire, le reste de l’agrégat, demeurât-il intact dans son tout et dans ses parties, n’a plus la sensibilité dès que ce principe s’est retiré, je veux dire tout ce qu’il y a en lui d’atomes aptes à constituer la substance de l’âme.
D’ailleurs, quand l’agrégat tout entier a achevé de se dissoudre, l’âme se dissipe et n’a plus les mêmes facultés, ni les mêmes mouvements, ni par conséquent, la sensibilité non plus.
Car il est impossible de concevoir que le principe sentant réside ailleurs que dans le système constitué comme nous le voyons, et puisse se passer des mouvements que nous voyons dans le reste de l’agrégat ; bref, il est impossible de concevoir que ce principe subsiste lorsqu’il n’est plus entouré de l’enveloppe et du milieu où nous le voyons manifester son activité.
Il faut aussi se représenter ce qu’est l’incorporéité attribuable à l’âme, car on pourrait en venir à croire que le mot désigne quelque chose de proprement incorporel.
On ne peut rien concevoir de proprement incorporel que le vide.
Mais le vide ne peut ni agir ni pâtir : il ne fait que permettre aux corps de se mouvoir à travers lui. Par conséquent, ceux qui disent que l’âme est un être incorporel parlent pour ne rien dire.
Si elle était incorporelle, en effet, elle ne pourrait agir ni pâtir ; or, nous voyons avec évidence que ces deux accidents sont réellement éprouvés par l’âme.
Telles sont nos doctrines sur la nature de l’âme. On devra se souvenir de ce que nous avons dit au début de cette lettre, et rapporter aux affections et aux sensations ces raisonnements au sujet de l’âme.
On arrivera ainsi à posséder les vues dont nous avons indiqué les traits essentiels, et à les posséder assez bien pour approfondir avec sûreté, en se laissant guider par elles, toutes les études de détail sur la question.
—Extrait d’une Lettre à Hérodote
—Traduction de Octave Hamelin,
—Revue de Métaphysique et de Morale, 18, 1910,
—■Épicure —