🟤 La Religiosité D’une Œuvre Célébrée Dans Le Monde Entier
• Enfin, il était temps. Temps de quoi ? De pouvoir enfin voir ou revoir la fameuse Trilogie de Marcel Pagnol dans une édition décente. La première, en DVD, remonte déjà à quelques années. Et malgré de louables efforts de restauration des négatifs d’origine, le compte n’y était pas. Celle-ci, en Blu-ray, est un véritable travail d’orfèvre.
• L’occasion de revenir sur l’un des chefs-d’œuvre du septième art français. Ainsi, n’est-ce pas une galéjade de Marseillais, mais c’est Hollywood qui, le premier, a décelé le talent de Marcel Pagnol, même si les rivages californiens n’ont que peu à voir avec leurs homologues méditerranéens.
• Nous sommes en 1930. Un an avant, le public s’est rué en masse au théâtre de Paris applaudir Marius. Dans les deux rôles principaux, César et Marius, on trouve déjà Raimu et Pierre Fresnay. Le premier toise le second de haut. Quelle idée, aussi, que d’engager un acteur alsacien pour jouer un Marseillais. Mais lors de la première rencontre avec le monstre sacré, le jeune Fresnay parle avec un accent tel qu’on a l’impression qu’il a grandi sur le Vieux-Port. Raimu est bluffé. Quant à Fanny, c’est déjà Orane Demazis qui s’y colle. Comme elle partage la vie de Pagnol, ça aide.
🟤 L’intérêt de la Paramount pour Marseille…
• Ce triomphe sur les planches n’échappe alors pas à un certain Robert T. Kane, diligenté de Hollywood par les studios Paramount afin d’ouvrir une filiale en France. Entre-temps, Marcel Pagnol a déjà pressenti les infinies possibilités du cinéma parlant, y voyant aussi, au-delà de la prouesse technique, une occasion pour ses confrères de multiplier les rentrées d’argent.
• Le 17 mai 1930, il publie même, dans Le Journal, une tribune intitulée « Le film parlant offre à l’écrivain des ressources professionnelles ». La Société des auteurs proteste, avant de vite se rendre compte que de tels débouchés pourraient bien mettre un peu de beurre dans les épinards de leurs adhérents.
• Marcel Pagnol, non content d’avoir un coup d’avance sur le reste de la profession, en marque un second en signant, avec Robert T. Kane, un contrat totalement novateur, échangeant son cachet d’adaptateur — cinq cent mille francs de l’époque, tout de même — contre un contrôle total sur son œuvre et un pourcentage sur d’éventuelles recettes. Il n’est pas encore le metteur en scène qu’on sait, mais il apprend là aussi très vite. Pour Marius, le premier volet de la Trilogie, on lui envoie Alexandre Korda, Anglais d’origine hongroise, pour lequel la Canebière est terra incognita. Paradoxalement, le courant passe très bien entre ces deux hommes que tout éloigne a priori.
• Robert T. Kane, qui croit au potentiel du film à l’international, le fait tourner simultanément en allemand et en… suédois ! Il ne se trompe pas et Marcel Pagnol en profite pour prendre sa liberté, fondant ses propres studios, Les Films Marcel Pagnol, qui produisent Fanny, en 1932. La réalisation est cette fois déléguée à Marc Allégret et le succès est à nouveau au rendez-vous. Quatre ans plus tard, c’est César, dont Marcel Pagnol assure désormais la mise en scène. Il a suffisamment observé le travail de Korda et Allégret : il se sent désormais prêt.
🟤 Des adaptations internationales comme s’il en pleuvait…
• Une nouvelle fois, ce film triomphe, en France comme à l’étranger. Robert T. Kane avait vu juste. D’autant plus juste que les adaptations étrangères de la Trilogie se multiplient : Der Wendhausen, remake allemand de Fanny. Port of Seven Seas (1938), relecture américaine de James Whale — réalisateur du premier Frankenstein avec Boris Karloff ! — couvrant l’ensemble de la Trilogie. Le Port aux mouettes (1942), de Yasuki Chiba, adaptation japonaise de Marius. Bagatelle au printemps (1949), de Kajirō Yamamoto, qui revisite Fanny. Fanny, toujours (1954), comédie musicale de Harold Rome créée à Broadway, remettant à l’honneur l’ensemble de la Trilogie, et qui sera, en 1961, adaptée sur grand écran par Joshua Logan, avec Charles Boyer en César et Maurice Chevalier dans le rôle de Panisse. En 1967, c’est Hymne à l’amour, de Yōji Yamada, troisième remake japonais, résumant, cette fois, le triptyque.
• Quel auteur français peut se vanter d’un tel rayonnement mondial ? À part Maurice Leblanc et son Arsène Lupin, véritable héros national chez nos amis nippons, on ne voit guère.
🟤 Un enracinement à valeur universelle…
• Comment expliquer ce phénomène ? On peut avancer deux raisons.
— La première ? Ses films sont si empreints de terroir qu’ils permettent alors à tous les petits Terriens d’y voir le reflet de ce qu’était la France d’alors, avant qu’elle ne devienne une province galloricaine — pour reprendre la terrible expression de Régis Debray.
— La seconde, c’est qu’au-delà de cet enracinement, l’auteur évoque des sentiments qui, eux, sont universels et dans lesquels chaque être humain, quelle que soit sa culture, sa race ou sa religion, est susceptible de se reconnaître à sa façon. Car il y aura toujours des Marius pour rêver d’ailleurs, de mer et autres équipées militaires, des Fanny pour les laisser partir, même si celant en leurs entrailles le fruit d’étreintes illicites. Il y aura, encore et toujours, des pères et des mères pour pardonner ces péchés d’amour. Et même des enfants adultérins pour reprocher à celle leur ayant donné la vie d’avoir été une femme avant de devenir une maman. Car tout cela fait partie de l’histoire de l’humanité, tragique et comique tour à tour, mais jamais cynique ; chez Marcel Pagnol, en tout cas.
• Pierre Billard, dans son Âge classique du cinéma français (Flammarion), ne s’y trompe pas : « Cette saga tribale où se mêlent, s’aiment et surtout s’apostrophent des personnages qui sont à la fois les membres d’un pittoresque folklore régionaliste et des types humains de valeur universelle. À travers d’homériques discussions de bistrot, ils évoquent le rêve de paradis lointains, le fossé des générations, les exigences du devoir moral au-delà des tricheries du quotidien. »
🟤 Un Pagnol plus religieux qu’il n’y paraît…
• Et puis, comment faire l’impasse sur la religiosité de Marcel Pagnol, dont Fayard vient d’éditer Les Sermons, consacrés à ceux prononcés aux homélies de ses curés, disséminées de film en film. Une religiosité éternellement écartelée entre piété et libre pensée, dualité qui est souvent au cœur de ses livres et de ses pièces. Sa famille avait les idées larges : d’où l’incontournable présence de l’oncle Jules, royaliste convaincu et à la messe toujours assidu ; mais qui contournait la rigueur de Pagnol, le père de Marcel, par un hédonisme à base de tables copieusement garnies de bonnes viandes, arrosées de rires et de bons vins.
• Cette humanité profonde, déjà à merveille esquissée dans sa Trilogie, resplendit ensuite en ses mémoires, quand de son père il célèbre la gloire avant d’acheter, en mémoire de sa mère, le château dont elle rêva tant. Que de nobles sentiments puissent à tel point irriguer une œuvre si emplie de grâce, de sensibilité et de douceur de vivre tient du miracle.
• Celui de Pagnol, dira-t-on.
— Source documentaire : Boulevard Voltaire France
— 7 décembre 2025
■— Nicolas Gauthier —
