15 octobre 2024

Changer, Pour Changer Ce Monde

 


Pourquoi L'homme N'a-T-Il Pas Su Changer? Car Il Ne Change Que Très Peu, De Façon Marginale, Tout En Exigeant Par Ailleurs Une Société Meilleure. 


Il veut que l'ordre règne, non seulement en lui-même et dans ses relations — intimes ou autres –, mais il veut aussi voir régner dans le monde une certaine paix, il veut avoir le loisir de s'épanouir, d'accéder à une certaine forme de félicité. 


L'observation confirme la persistance à travers l'histoire, depuis les temps les plus reculés, de cette attente de l'humanité. Et pourtant, plus l'homme devient civilisé, plus il engendre le désordre, et plus les guerres se multiplient. 


Notre planète n'a jamais connu d'époque exempte de guerres, de tueries, d'anéantissement réciproque — une religion en détruisant une autre, une institution en dominant une autre pour mieux l'éliminer, un organisme en place étouffant tous les autres.


Conscient comme vous l'êtes de ce conflit sans fin, ne vous demandez-vous jamais s'il est possible de vivre dans cet univers sans chercher à fuir au sein d'une communauté, sans se faire moine ou ermite, mais d'y vivre d'une manière saine, heureuse, intelligente, sans le moindre conflit intérieur ou extérieur? 


Si vous vous posez la question — et vous le faites, j'espère, en ce moment même, car nous menons ensemble cette réflexion – alors vous êtes en droit d'exiger l'avènement d'une société juste.


Ce rêve d'une société juste hantait déjà les civilisations de l'Antiquité indienne, grecque et égyptienne. Mais une société juste ne peut exister que si l'homme lui-même est juste et bon, car c'est cette qualité même qui fait que ses relations, ses actes et tout son mode de vie sont empreints de générosité et de justesse.


Le bien, c'est aussi le beau.


Le bien désigne aussi ce qui est sain; il est relié à Dieu, aux principes les plus nobles. Le mot bien doit être compris de manière très claire. Quand le bien est en vous, que la bonté vous habite, alors tout ce que vous ferez sera bien : vos relations, vos actions, votre mode de pensée.


Et il est possible d'avoir une perception instantanée de la pleine signification de ce mot, de son caractère exceptionnel.


Si vous le voulez bien, réfléchissons ensemble attentivement à cette question, car si vous allez vraiment au fond des choses, cela affectera votre conscience et votre façon de penser et de vivre. 


C'est pourquoi je vous invite à accorder un peu d'attention à la compréhension de ce mot. Le mot n'est pas la chose. Certes, je peux décrire une montagne de façon merveilleuse, je peux la peindre, ou écrire sur elle un poème, mais le mot, la description, le poème ne sont pas la réalité authentique.


Nous nous laissons trop souvent emporter, sous le coup d'une émotion irrationnelle, par la description, par le mot.



Le bien n'est pas l'opposé du mal, le bien est sans aucun lien avec la laideur ou le mal, ni avec ce qui est malfaisant ou dénué de beauté. Le bien existe indépendamment de tout.


Si vous dites que le bien est l'aboutissement ultime du mal ou de la laideur, alors c'est qu'il porte en lui le mal, la laideur, la violence. Or le bien ne saurait en aucun cas avoir le moindre lien avec ce qui n'est ni bien ni juste.


Le bien est absolument incompatible avec la soumission à une quelconque autorité. L'autorité est une chose extrêmement complexe : il y a l'autorité des lois élaborées par l'homme au fil des siècles; il y a les lois de la nature; il y a aussi la loi née des expériences que nous avons vécues et à laquelle nous obéissons, et la loi que nous dictent nos réactions mesquines qui sont prépondérantes dans notre existence.


Et il y a enfin la loi des institutions, celle des croyances organisées, que l'on nomme religions ou dogmes. Or, nous le disons, le bien est sans aucun lien avec l'autorité sous quelque forme que ce soit.


— Regardez les choses en face, examinez-les. 


Le bien n'est pas une démarche conformiste. Si vous vous conformez à une croyance, à un concept, à une idée ou à un principe, ce n'est pas bien, car c'est une source de conflit. 


Le plein épanouissement du bien ne passe pas par un intermédiaire, ni par une figure religieuse, un dogme ou une croyance. Le bien ne peut fleurir que sur le terreau de l'attention totale, où l'autorité n'a pas cours. 


La quintessence du bien, c'est un esprit dénué de tout conflit. Et le bien suppose d'immenses responsabilités. On ne peut être juste et bon, et tolérer les guerres. Le juste se sent donc pleinement comptable de chacun des aspects de son existence.



Nous voudrions savoir si celui qui a toujours vécu au sein d'une société soumise à l'influence de croyances, de gens de religion imbus d'autorité, peut être un homme juste et bon, car nous n'engendrerons une société différente que si vous, en tant qu'être humain, êtes d'une intégrité, d'une bonté parfaite, absolue — et pas seulement épisodiques.



Extrait d'une causerie publique, à Ojai, le 7 avril 1979,

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Chapitre III — Une vie juste




Jiddu Krishnamurti (1895-1986) —