LA Stupeur Et L’incrédulité S’abattent Sur La France : Notre-Dame Brûle ! Les Sirènes Hurlent, Un Lourd Panache De Fumée Envahit Le Ciel De Paris. C’est La Stupeur, L’incrédulité : Notre-Dame Brûle !
◆ C’était un soir de printemps
Un dîner de famille un peu plus tôt que d’habitude. L’un d’entre nous s’est levé pour aller prendre un plat. D’un geste machinal, il a déverrouillé l’écran de son téléphone portable posé sur le comptoir, a lu sans y penser la notification qui s’affichait. Puis il s’est figé, a reposé le plat, approché de ses yeux l’écran pour mieux lire. Ça n’était pas possible. Proprement impossible.
◆ À table, les conversations se sont gelées
Notre-Dame de Paris est en feu. Quelqu’un a dit : c’est un châtiment ! Dieu punit notre époque, amnésique et impie, la France, indigne d’arborer, avec l’orgueil déplacé et grotesque d’un héritier sans mémoire, ce fleuron bâti au temps où l’on croyait collectivement en Dieu et en sa mère, au patrimoine reçu et au don de sa vie pour bien plus grand que soi.
En pleine semaine sainte, la destruction du Temple, transposée à Paris au XXIe siècle. Certains, envahis d’une colère sourde, demandent : c’est un crime, qui a fait cela ? La plupart restent silencieux, consternés, sidérés, peut-être parce qu’ils savent que leur voix se briserait sur des mots inutiles.
C’est une catastrophe ; Sylvain Tesson dira : « la catastrophe française du début du XXIe siècle ». Point besoin de la foi, point besoin même d’être français, pour être concerné, effondré, avec Elle. Les monuments appartiennent un peu à tous ceux qui les aiment.
◆ Cela a commencé durant l’office du soir, ce lundi saint.
À 18 h 18, le système incendie de la cathédrale donne l’alerte. Alerte injustifiée, croit-on d’abord. L’office interrompu reprend à 18 h 35. Quinze minutes plus tard, la cathédrale est évacuée après qu’un agent de sécurité a découvert les flammes ravageant déjà les combles de la nef.
Les premiers sapeurs-pompiers de Paris sont sur place à 18 h 58. Mais il faut attendre 19 h 30 pour que des camions équipés de bras élévateurs articulés suffisamment grands, dont les casernes parisiennes ne sont pas équipées, arrivent de Versailles.
Pendant ce temps, l’incendie a gagné toute la toiture. Sur les quais de Seine, la foule se presse, médusée. Certains pleurent. D’autres se mettent à genoux.
Dix minutes avant 20 heures, la flèche de Notre-Dame s’effondre, crève la voûte de la croisée du transept, propage l’incendie à l’intérieur de la cathédrale. Le mobilier liturgique du chœur est entièrement détruit.
◆ Lutte pied à pied avec le feu
Sur les plateaux de télévision, les experts politiques se muent bon an mal an en spécialistes de Notre-Dame. Emmanuel Macron a gagné le parvis de la cathédrale.
L’aumônier des pompiers, le Père Jean-Marc Fournier, longe avec son équipe les murs de Notre-Dame tandis qu’une pluie de feu et de plomb fondu tombe du toit. Direction le reliquaire de la Couronne d’épines du Christ, le Trésor. Direction aussi l’autel de Saint-Georges où se trouvent les hosties consacrées.
« Je récupère Jésus, racontera-t-il. Et je bénis avec le saint sacrement la cathédrale. C’est un acte de foi. Je demande à Jésus - que je crois réellement présent dans ces hosties - de combattre les flammes et de préserver l’édifice dédié à sa mère. »
Dans la nuit tombée, des flammes hautes de 20 mètres déchirent le ciel.
Au bas d’une tour de Notre-Dame, les lampes des casques des pompiers semblent une colonie de lucioles dérisoires, en qui pourtant le monde entier, les yeux braqués sur elles espèrent. Ils ont une demi-heure pour tenter de bouter le feu hors des beffrois.
Si les cloches tombent, la tour nord s’effondrera et celle du Sud suivra. Et c’en sera fini de Notre-Dame.
Le général Gallet l’a dit au président : « Nous pouvons tout perdre : la cathédrale et les hommes. » Ils y sont allés, ont lutté pied à pied avec le feu, passant par des chatières de 60 centimètres de large, tandis que la fumée leur brûlait les yeux.
Et puis, peu à peu, les lueurs dans les beffrois se sont estompées.
Ils y sont parvenus. Ils ont sauvé les tours de Notre-Dame peu avant 23 heures, même si l’incendie ne sera réellement maîtrisé qu’à 4 heures du matin.
Dans la cathédrale, sous l’orgue, des dizaines de petites bougies continuent à briller, épargnées par les lances. Au fond de la nef, près de l’autel, une croix immense scintille, mystérieuse, par-dessus les gravats fumants.
Les rosaces brillent aussi. La Vierge du pilier, celle de la conversion de Claudel, est indemne. Le maître-autel et le groupe sculpté du Vœu de Louis XIII, dont la Pietà de Nicolas Coustou, aussi.
Notre-Dame, blessée, éventrée, noir de suie, ruisselante et silencieuse, semble étrangement vivante. On ne saura jamais pourquoi elle a brûlé.
Mais la France tout entière dès l’aube à son chevet n’aura qu’un mot en tête : tout faire pour reconstruire.
— Le Figaro
— Vendredi 6 décembre 2024
■ Albane Piot —