20 juin 2025

≡ Le Désert Du «Moi»



A côté ou au cœur des déserts, il y a celui de l'analyse : 


Plus je cherche à me connaître moi-même, plus mon véritable moi m'échappe, somme ridicule de mémoires génétiques ou de mémoires acquises.


Mon désir est si peu mon désir, ma pensée si peu ma pensée, je ne suis qu'un tissage incertain de hasards et de rencontres; mes mots sont ceux de la tribu et mes atomes, nostalgies d'étoiles.


La rumeur des mondes s'écoule dans mon sang et je persiste à dire «je» !


Mais la vie n'est pas avare de ses bons et mauvais coups, les blessures narcissiques ne nous seront pas épargnées, et de nos miroirs brisés, il sera toujours difficile de reconstruire le puzzle ou le leurre d'une identité.


Plus je me découvre moi-même, plus je me découvre comme inconnu et inconnaissable, si étranger à ces étiquettes et à ces regards dans lesquels les autres pensent me reconnaître !


Evidemment «Je est un autre», autre que toutes mes illusions 


— Y a-t-il d'ailleurs autre chose à perdre que des illusions ? 


Ce que nous oserons appeler un sujet, c'est ce qui reste quand on n'a plus aucune illusion sur soi-même.


— Mais qu'est-ce qui reste ?


Ce «Je suis» n'était déjà plus le nôtre, mais il résonne maintenant comme un miracle au cœur de notre évanescence. Il Est celui qui Est» tout ce qu'on peut dire de plus le réduit à notre forme, aux limites de notre expérience.


Dans le désert de la connaissance, l'homme se nourrit de questions.


Manne en hébreu, «manhou», cela veut dire «qu'est-ce que c'est ?», et c'est à force de questions qu'il se rapproche de son nom : «Adam», ce nom qui, dans la somme de ses lettres selon les exégètes juifs, indique le chiffre «quoi ?».



Le Sphinx qui nous attend au seuil du désert sait que «l'homme» n'est pas la réponse, mais qu'au fur et à mesure de sa traversée, «L'homme» aura à s'endurer comme question.



L'homme est une bonne question pour l'homme, une soif qui ignore ce qui l'étanche.


On ne fait pas de l'eau avec du sable, mais y a-t-il parmi les hommes un seul grain de sable qui ne reçut jamais la visite de l'eau ?


Sinon, comment serait-il glaise (adamah), vase ou poterie où se recueillent les Sources ?




— Extraits de «Déserts, Déserts»




–  Jean-Yves Leloup —